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Les petits bleus de la double lune

Face à l'essoufflement de la série «Donjon», l'inépuisable Trondheim a trouvé une parade: à la fois proches et différentes, les aventures de «Ralph Azham» semblent, sauf accident, promises à un bel avenir.

02 avr. 2011, 11:48

Plus et mieux encore que son vieux complice Joann Sfar qui nous sort ces jours-ci un pavé un peu indigeste sur Brassens, Lewis Trondheim est de ces créateurs qui font de l'or avec tout ce qu'ils touchent. Qu'il s'agisse d'heroic fantasy, d'autobiographie, de tranches de vie contemporaines, d'albums expérimentaux explorant ludiquement des contraintes narratives originales, Trondheim parvient toujours à glisser avec un bonheur déconcertant du sourire à la gravité, de la blague au drame, de la cruauté à la tendresse. Et l'on constate avec soulagement que ses menaces régulières de bientôt se retirer du circuit ne sont que des promesses d'ivrogne.

Le village de Ralph Azham a des allures de communauté alternative à la fois moderne et archaïsante. Les poêles en fonte et les chariots renvoient au décor du western, les maisons surélevées aux Lacustres (ou au Valais…). On s'aperçoit toutefois assez vite qu'il ne s'agit pas exactement de notre monde: les deux lunes, dont la conjonction provoque des bleuissements générateurs d'étranges pouvoirs, la proximité d'envahisseurs qui tiennent des Huns et des Romains, diverses créatures bizarres et surtout ces «envoyés d'Astolia» qui s'occupent des «Elus» et sur qui on espère bien en apprendre un peu plus dans les prochains albums, nous installent dans une atmosphère profondément dépaysante et éminemment «donjonnesque».

Pour autant, nous sommes très loin ici du jeu vidéo ou du jeu de rôles: le langage décontracté du héros le met en phase avec le jeune public, mais les conflits humains et la subtilité de l'intrigue, comme toujours chez Trondheim, apportent un surcroît d'âme à ce qui sous d'autres pinceaux ne serait qu'un fatras hétéroclite.

Ici, le constant bonheur des dialogues et des péripéties porte indéniablement la marque des plus grands. Le titre du volume déjà, «Est-ce qu'on ment aux gens qu'on aime?», nous prévient que les choix auxquels sera confronté le héros seront tout sauf simples. Quant aux personnages, ce sont toujours ces canards, tigres, lapins, oiseaux divers qui sont la signature de Trondheim; alors bien sûr, il y a par ci par là quelques traces de super-pouvoirs. Mais ceux-ci n'ôtent rien à la fragile et tremblante humanité des héros. Non, décidément, Trondheim n'a pas dit son dernier mot. /ACO

«Ralph Azham», t. 1, «Est-ce qu'on ment aux gens qu'on aime?», Lewis Trondheim (scénario et dessin), éd. Dupuis, 2011.

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