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Les erreurs de Patty, les compromis de Walter

27 sept. 2011, 11:09

Auteur des «Corrections», roman récompensé en 2002 par le National Book Award, l'une des distinctions littéraires américaines les plus prestigieuses, Jonathan Franzen rencontre à nouveau un immense succès critique en 2010 et vend plus d'un million d'exemplaires de «Freedom» aux Etats-Unis. Sa traduction française est sortie fin août et se dévore grâce à ses personnages très incarnés et complexes, dotés d'une profondeur psychologique fascinante.

Le livre commence avec l'annonce rapide d'un scandale entachant Walter Berglund, et continue avec un portrait de sa femme Patty, rare mère au foyer de son quartier bobo dont les habitants se passionnent pour des questions telles que «Le boulgour est-il un aliment vraiment nécessaire? Où faut-il recycler les piles?». Incapable de dire du mal d'autrui, cette «affable abeille» rend d'innombrables services, notamment à sa voisine Carol, mère célibataire employée de bureau qui le lui rend mal. Ce portrait de la femme au foyer modèle allèche, parce que les êtres humains imparfaits que nous sommes pressentent une faiblesse dans la cuirasse de l'ancienne basketteuse, intuition induite par une perspective intéressante, celle des anciens voisins, pour qui «il y avait toujours eu quelque chose de plus ou moins bizarre chez les Berglund». D'ailleurs la curiosité du lecteur, puisque son point de vue est celui des voisins, s'apparente à celle, peu flatteuse, d'une commère. La faille de Patty, c'est un amour trop fort pour son fils Joey, un amour exclusif qui la rendra folle de colère lorsqu'elle se rendra compte que Connie, la fille de sa voisine Carol, couche avec son rejeton chéri.

Dérapage

Ce début ironique et brillant est suivi des explications du dérapage de Patty. Elle avait voulu devenir femme au foyer parce que sa mère avait échoué en tant que mère, avait ignoré les succès de son aînée au basketball et favorisé outrancièrement ses deux autres filles, et la jeune joueuse à la compétitivité maladive avait voulu battre ses parents sur ce terrain. Elle s'était mariée avec Walter, qui l'aimait à la folie et était promis à un bel avenir, et avait renoncé à une aventure avec Richard.

Rivalité

Pour Jonathan Franzen, l'esprit de compétition semble être un des moteurs de la vie. Patty en est un exemple flagrant, mais Walter et Richard, meilleurs amis depuis la fac, sont également des rivaux de toujours et cette rivalité explique partiellement le désir de Richard pour Patty. L'auteur américain a également l'air de penser qu'il vaut mieux se débarrasser de ses obsessions sexuelles et en faire l'expérience plutôt que de les étouffer et de les laisser pourrir sa vie amoureuse et familiale comme le fait Patty, contrairement à son fils Joey qui se débattra dans la même vase mais trouvera une porte de sortie.

Génération désenchantée

Mais Jonathan Franzen ne se contente pas de décortiquer la psychologie d'un trio amoureux. Il peint aussi le portrait d'une génération qui se croyait capable de changer le monde et de l'améliorer, qui déchante et voit ses enfants se précipiter en Irak pour vendre à son armée des camions défaillants et se faire le plus d'argent possible. Ainsi Walter Berglund, quand il était étudiant en droit et boursier originaire d'une famille modeste, rejeté par son père alcoolique qui souffre d'un complexe d'infériorité devant lui, rêvait de faire contrôler les naissances aux Etats-Unis dans le but de sauver la planète et ses ressources limitées, et défendait la cause des femmes, mais finit par faire des enfants avec Patty et la laisse s'occuper de son foyer. Mais Jonathan Franzen ne simplifie rien et n'en reste pas à la description de ces contradictions-là: il raconte aussi celles que Walter rencontre plus tard, lorsqu'il s'attaque à la défense de l'habitat d'un oiseau américain au service d'un richissime homme d'affaires, et accepte de curieux compromis dans ce but.

Bref, «Freedom» est un riche roman ironique, lucide et désenchanté mais pas sans espoir qui, malgré ses 720 pages, se referme avec regret.

«Freedom», Jonathan Franzen, traduit de l'anglais par Anne Wicke, éd. de l'Olivier, 720 p. 32fr.40

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