Laura Rossi, en quoi l’impact de la publicité vous interpelle-t-il?
Les phénomènes de société m’ont de tout temps intéressée. Or, je constate que la publicité, sous toutes ses formes, nous formate. Elle est «l’art de convaincre les gens de dépenser l’argent qu’ils n’ont pas, pour quelque chose dont ils n’ont pas besoin», disait l’acteur Will Rogers. Et cela va en s’aggravant et touche de plus en plus de personnes, tous sexes et tous âges confondus.
Vous dites aimer étudier ces phénomènes pour y puiser leur essence même. C’est-à-dire?
Je me documente beaucoup avant de me lancer dans l’écriture d’un scénario sur lequel viendra se greffer une chorégraphie. Pour «Des îles et des elles», je me suis demandé comment des professionnels réussissent à nous influencer.
Qu’en avez-vous déduit?
La première étape consiste à nous donner envie de nous transformer en valorisant des stars, qu’il s’agisse d’actrices, de sportifs ou tout autre prince ou princesse. Vous lisez un article les concernant et sur la page d’à-côté, on vous vante les bienfaits d’un produit. En fait, les marques sont devenues «des manifestations marchandes du merveilleux pour transformer les hommes en automates du bonheur», pour reprendre des citations que j’ai lues.
Ces mécanismes évoluent-ils?
Bien sûr. Dans les années 80, le but de la publicité visait à créer le désir d’acheter. Alors qu’aujourd’hui, il s’agit d’insuffler une pulsion au consommateur et de ne plus lui laisser le temps de la réflexion. On peut citer en exemple les moteurs de recherche qui vous bombardent d’offres si vous avez eu le malheur de les utiliser. Ces algorithmes sont terribles.
Et en corrélation avec la prolifération des supports publicitaires?
De toute évidence. Il y a trente ans, les seuls canaux étaient les magazines, les journaux, la radio et la télévision. Eventuellement quelques affiches. Aujourd’hui, la publicité pleut de partout. On ne peut l’ignorer. Sans parler de la téléréalité et des influenceurs sur les réseaux sociaux. Tous mettent en avant des soi-disant normes corporelles contemporaines censées pouvoir être atteintes en usant et abusant de tel ou tel produit.
Quel regard portez-vous sur ce dernier processus?
Il est très grave car il emmène les femmes et les hommes qui s’y réfèrent vers une quête vouée à l’échec. Et ce phénomène n’est malheureusement pas près de s’inverser.
Dénoncer un tel phénomène par le seul mouvement n’est pas évident.
Oh, même si je m’interroge beaucoup, ça reste, avant tout, un spectacle de danse, pas une conférence (rires).
En conclusion, pourquoi «Des îles et des elles»?
Pour relever que ces phénomènes touchent les deux sexes. Mais c’est un jeu de mots décalé que chacun peut interpréter à sa manière.
Neuchâtel, théâtre du Concert (4, rue de l’Hôtel-de-Ville): «Des îles et des elles», par la cie Tape’nads danse. Vendredis 31 janvier et 7 février 2020 à 20h30; samedis 1 et 8 février à 20h30; dimanches 2 et 9 février à 17h, ainsi que jeudi 6 février à 20h30. Réservations: www.maisonduconcert.ch