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Le théâtre mental d'un vrai alcoolique

10 mars 2011, 11:49

CRITIQUE - PAR TIMOTHÉE LÉCHOT

Un monde sans dieu; un bar sans patron… Tout seul dans son pub préféré, Jeffrey Bernard raconte les anecdotes cyniques et désordonnées de sa vie à Soho. Construite autour des chroniques d'un véritable journaliste, la pièce «Jeffrey Bernard est souffrant», jouée à Colombier, laisse la parole à un drôle d'alcoolique dont les délires et les souvenirs s'incarnent tour à tour. Avec ses dizaines de rôles et sa structure morcelée, le texte de Keith Waterhouse n'est pas facile à monter. C'est pourquoi les professionnels de Maskarade, une jeune compagnie neuchâteloise, l'ont solidement pris en main, s'autorisant des remaniements.

La metteure en scène Nina Vogt fait un usage quasi rythmique des personnages secondaires, qui entrent et sortent de tous côtés, créant du mouvement, liant les scènes les unes aux autres. Actifs et caricaturaux, ces amis parieurs, ces amantes dégoûtées, ces médecins, ces juges et ces chefs en colère contrastent avec la lenteur placide de Jeffrey Bernard. L'acteur Manu Moser dote celui-ci d'une ivresse crédible, bavarde et claire, qui s'exprime dans la dégradation des gestes et non des paroles.

Perdant, au fil des vodkas, la maîtrise de son corps, Jeffrey s'approche à la fois de la mort et de certaines vérités supérieures ou, du moins, d'une honnêteté nue à l'égard de lui-même. Dans le creux de sa déprime alcoolique et de sa déchéance sociale, il touche à l'existence pure et, peut-être, à une forme d'autosuffisance jouissive. Jeffrey Bernard, c'est le Diogène moderne des bas-fonds. Son tonneau à lui contient du porto.

Le décor est - à l'image de Jeffrey - saturé d'alcool: sur le sol et le comptoir, il n'y a pas moins de bouteilles vides que de verres pleins; les tables sont des fûts; des caisses de bières servent de murs. Introduisant le spectateur dans l'imagination même du personnage, Nina Vogt propose une expérience éthylique et artistique originale et tout intériorisée.

Colombier, théâtre, ce soir, demain et samedi à 20h, dimanche à 17 heures

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