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La petite musique de Rebatet

26 avr. 2011, 08:12

A l'heure ou la célébration du cinquantième anniversaire de la mort de Céline ouvre, prolonge ou réveille de vieux démons et des débats sans fin, d'autres auteurs qui ont plongé leur plume dans le fiel se trouvent rejetées dans l'éternel voyage d'une nuit qui ne connaît pas de bout.

Lucien Rebatet appartient à cette armée des ombres maudites. C'est pourquoi la réédition par la maison Le Dilettante de son livre «Les épis mûrs» revêt un certain intérêt car il s'agit d'un roman introuvable depuis 60 ans. Parce que son auteur s'est damné en payant sa postérité d'écrivain d'une gloire réprouvée pour un succès de circonstance.

Féal de la collaboration, fasciste pur jus, de fibre militariste, contempteur zélé de la démocratie, admirateur du nazisme et antisémite jusqu'à la moelle, Lucien Rebat demeure le journaliste de «Je suis partout» et l'auteur des «Décombres». Ce livre, meilleure vente de l'année 1942, publié peu après la rafle du Vel'd'Hiv', reste un brûlot d'une violence inouïe. Un ouvrage écrit dans le jaillissement infernal d'une mauvaise humeur. Il lui vaudra une condamnation à mort commuée en années de prison par la grâce d'écrivains ayant pris sa défense tels Malraux, Camus et d'autres.

Un stendhalien

Mais la pire condamnation de Rebatet, s'avère le silence littéraire qui va l'entourer. Pourtant, sous l'écorce râpeuse du pamphlétaire, coule la sève d'un écrivain. Un vrai, enraciné dans le classique, «un stendhalien», souligne Nicolas d'Estienne d'Orves à qui l'on doit la postface et l'appareil critique qui accompagnent cette publication.

En narrant la biographie imaginaire d'un jeune compositeur de génie tué dans les tranchées de l'Artois en 1915, Rebatet se raconte. Telle est la lecture que Nicolas d'Estienne d'Orves propose de ce roman entièrement dédié à la musique.

Un art dont Rebatet était un fin connaisseur puisqu'on lui doit aussi une remarquable «Histoire de la musique» à laquelle bien des amateurs se réfèrent encore. Pour le jeune critique musical, «ce livre purement romanesque tisse une curieuse métaphore qui unirait le sort du musicien sacrifié à celui de l'écrivain proscrit: tout deux ayant vu leur talent détruit avant terme par les conditions historiques.» Si l'un meurt au champ d'honneur, l'autre s'éteint cependant d'infamie…

Et c'est vrai que l'on trouve du Lucien Rebatet dans la passion, au sens christique, du jeune Pierre Tarare.

Tropisme allemand

L'auteur comme son rejeton littéraire sont des érudits qui daubent les conventions bourgeoises et l'académisme et s'ébrouent dans l'audace créative et le progressisme musical d'un Paris d'avant-guerre.

Lucien Rebatet a écrit ce roman en s'appuyant sur ses connaissances musicales et un simple traité d'harmonie. Mais en poussant l'exercice auquel Nicolas d'Estienne d'Orves nous invite, on peut se demander s'il ne l'a pas rédigé avec des «Décombres» encore fumants à sa table tant la petite musique de son tropisme allemand infiltre cette histoire.

En ouverture se déploie l'amour de cette musique d'outre-Rhin et de Wagner bien sûr. Puis comme un leitmotiv, des figures germanisantes croisent le parcours initiatique de Pierre. A son géniteur honni se substitue temporairement la figure bourrue et bienveillante d'un maître de chapelle alsacien, wilhelmien en diable avec rouflaquettes à la prussienne et accent teuton.

Quant à sa blonde nièce décrite comme fadasse, elle se révèle une audacieuse walkyrie chevauchant le héros pour achever de le déniaiser.

Et dans l'allegro des pages consacrées au climat effervescent lié à la déclaration de la Première Guerre mondiale, Rebatet retrouve ses envolées de pamphlétaire. Passant à sa moulinette socialistes et pacifistes, va-t-en-guerre et industriels, galonnés et griffetons, bourgeois et têtes couronnées, tous les acteurs d'une société qui pressent sa propre fin.

Et son tableau des casernes de 1915 sonne comme l'aria de son propre cantonnement dans les forts de 1940, du côté de Briançon, qui fait l'objet d'un long passage des «Décombres»…

Indécrottable

Si comparaison n'est pas raison, Lucien Rebatet surgit pourtant tel qu'en lui-même au fil des pages. Indécrottable.

Indécrottable de talent et d'aisance pour trousser une histoire dans une langue maîtrisée, piquetée d'érudition et de mots devenus précieux par la grâce du temps qui leur a donné cette patine surgie d'un grimoire.

Indécrottable aussi des parfums nauséabonds de cette germanophile décomplexée et encombrante comme un barda militaire. Elle exhale un peu trop la botte et laisse filtrer des fumets peu ragoûtants de couvercles posés sur les marmites d'une arrière-cuisine où rougeoient les braises inquiétantes d'un crépuscule de Nuremberg.

A force d'avoir trop été à «Je suis partout», Lucien Rebatet finira par ne plus être nulle part.

 

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