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La Belle Epoque des animaux

Fable dérangeante et plus retorse qu'il n'y paraît de prime abord, «Hélas» de Spiessert et Bourhis se déroule et ne se déroule pas dans notre monde: un album qui clôt l'année Darwin en l'ouvrant sur de nouvelles interrogations.

27 févr. 2010, 14:10

Plongés en plein Moyen Âge pour nous raconter les histoires du petit Viking «Ingmar» ou immergés dans la société la plus contemporaine pour dévider les aventures du «Stéréo Club», Spiessert et Bourhis ont choisi d'ancrer leur nouvel album dans la Belle Epoque, plus précisément en 1910, au moment des catastrophiques crues de la Seine qui transformèrent, l'espace de quelques semaines, Paris en lagune.

Mais en même temps leur Paris peuplé d'animaux ne ressemble pas tout à fait au vrai. On pourrait de prime abord penser que le dessinateur se complaît dans un anthropomorphisme décoratif, et à part leur tête, en effet, les allures et les comportements de ces animaux sont on ne peut plus humains: les chasseurs sont des chiens, les portefaix des taureaux, les danseuses de l'opéra des souris et les policiers… des poulets!

La différence homme-animal n'en est pas moins au cœur du récit, car ces animaux se livrent à la traque des derniers humains réduits à vivre proscrits dans la forêt. Une petite fille, capturée, est ainsi exhibée nue devant un aréopage de savants, et c'est l'étonnement général lorsqu'elle répète, par mégarde un mot qu'elle vient d'entendre: «hélas». Les humains seraient donc doués de parole? On apprend alors que les idées de la Révolution française passent auprès de certains pour avoir été inspirée par un humain. Vient alors le soupçon que la version officielle - animale - de l'histoire n'est peut-être pas la bonne…

Mais le lecteur reste ballotté entre plusieurs interprétations contradictoires: inverser le rapport homme-animal ne revient pas seulement à substituer une domination à une autre, car cette société où toutes les autres espèces semblent à égalité contre l'homme est parcourue de tensions plus fortes encore que la société humaine: «imaginez l'emprise de l'espèce qui prouvera qu'elle est celle de l'Etre suprême», s'écrie un vieux singe en haut-de-forme, qui nous livre sans doute par là l'une des clés du récit.

Le dessin sobre et élégant, parfaitement stylisé, de Bourhis ajoute à la lisibilité de cette fable dont la morale est peut-être introuvable, mais qui nous montre assurément que nous n'en aurons sans doute jamais fini avec la barbarie qui est en nous. /ACO

«Hélas», Hervé Bourhis (scénario), Rudy Spiessert (dessin), éd. Dupuis.

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