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«L'exil est une expérience similaire à celle de la dépression»

31 mai 2011, 11:22

Avec «Harare Nord», vous détruisez les clichés sur l'immigration parce que personne n'est parfaitement bon ni mauvais, et il n'y a pas vraiment de solidarité entre les immigrés puisque le cousin de votre personnage lui réserve un accueil très froid quand il débarque à Londres.

Oui, mais je pense aussi que c'est un peu éloigné de la réalité. L'arrivée d'un nouvel immigrant pose un sacré problème. Les gens qui sont déjà installés dans leur pays d'accueil ne sont pas aussi accommodants qu'ils le seraient dans leur pays d'origine. Il y a eu un changement dans leur sensibilité, du genre: «Nous vivons dans cet endroit bizarre et nous devons devenir bizarres pour survivre.» Donc c'est un choc pour ceux qui arrivent.

Que savez-vous de l'immigration?

Ces dix dernières années, le nombre de Zimbabwéens qui ont quitté leur pays pour l'Afrique du Sud ou le Royaume-Uni a augmenté. A Londres, je suis tombé sur des demandeurs d'asile qui vivaient une situation dont je n'avais aucune idée. C'est tout un monde caché sous la surface. La communauté des Zimbabwéens est formée de demandeurs d'asile mais aussi de clandestins qui ont décidé de ne pas rentrer chez eux. Ils forment un sous-prolétariat, une immense force de travail qui est exploitée.

Cela me rappelle une image récurrente dans «Harare Nord», celle de la barre de Mars.

J'ai vu ça il y a quelque temps dans les pages d'un tabloïde: la contribution des immigrés correspond à une barre de Mars dans la poche de chaque citoyen britannique chaque année. Pour la plupart des gens, ça ne représente pas grand-chose, mais pour un clandestin, c'est énorme. Ils ont une image de parasites mais en fait ils n'ont pas accès aux prestations sociales parce qu'ils ont trop peur.

Quelle est votre propre expérience de l'immigration?

J'ai vécu l'immigration d'une façon différente parce que je n'avais pas d'illusions sur la situation que j'allais trouver et j'ai essayé d'apprécier cette expérience particulière. Je suis parti du Zimbabwe en 2002 parce que j'avais atteint un stade où je pensais que je ne pouvais plus réaliser mes ambitions artistiques dans ce pays. C'est un pays où est il difficile d'être créatif, excepté pour quelques personnes très talentueuses. Au Royaume-Uni, le succès reste un défi. Les écrivains sont des gens pauvres, sauf les auteurs de best-sellers!

Au Zimbabwe, votre personnage avait rejoint les Green Bombers, des jeunes miliciens à la solde de Mugabe coupables de crimes contre l'humanité, mais il donne des raisons économiques à ce geste.

Oui, pour des gens comme lui qui n'ont aucune perspective d'emploi, rejoindre les Green Bombers donne l'impression d'être quelqu'un. Mais ce n'est pas une excuse morale, ces gens doivent faire face à leurs actes. Pour lui, c'est très difficile de penser à son passé. Je pense que la Commission vérité et réconciliation en Afrique du Sud est une très bonne chose pour l'individu.

Est-ce son crime qui le rend fou?

En partie. Pour n'importe quelle personne normale, l'exil est une expérience difficile. Il faut imiter les autres, on perd sa langue, et la dépression est une expérience similaire à celle de l'exilé. C'est donc très astreignant pour n'importe qui, et lui a beaucoup de problèmes, donc tous les ingrédients sont là pour une explosion.

Pourtant il y a beaucoup d'humour dans votre livre.

Quand je regarde l'histoire de mon narrateur d'une façon objective, je vois une vie très triste, très sombre. Je me suis dit que je ne pouvais pas écrire son histoire sous un angle exclusivement tragique. Il fallait que j'aille à l'autre extrême, que je la rende drôle, sinon ça serait difficile à supporter pour le lecteur.

Votre narrateur parle d'une façon très originale et vivante.

Ce qui m'intéressait à propos de la personnalité dissociative, c'est sa perception fragmentée du monde, d'où la rupture du langage dans mon livre. Ma première version était en anglais standard, et j'ai trouvé que la voix du narrateur sonnait faux. Alors je me suis approprié le créole et j'ai aussi utilisé de l'argot zimbabwéen contemporain de façon à ce que les lecteurs internationaux puissent aussi le comprendre.

«Harare Nord», Brian Chikwava, traduit de l'anglais par Pedro Jiménez Morrás, Ed. Zoé, 272 pp, Fr. 27.-

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