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En attente de l'embarquement

21 sept. 2011, 11:31

«Vol spécial», tourné durant six mois dans le centre de rétention de Frambois, dans la banlieue genevoise, raconte le quotidien d'immigrés sans papiers incarcérés et en attente d'expulsion. Le film a fait polémique à Locarno, lorsque, à l'annonce du double prix (œcuménique et de la jeunesse) obtenu par le documentaire, le directeur du festival, Paulo Branco, l'a qualifié de «fasciste). Aujourd'hui le film est adoubé par la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga...

Pour «Vol spécial», ainsi que pour tous vos documentaires d'ailleurs, vous récusez l'étiquette de film militant…

Je laisse toujours de la place au spectateur pour qu'il trouve ce qu'il y a à trouver. C'est le contraire d'un film militant. Tous les films qui ont dénoncé de manière très frontale une réalité sont toujours passés à côté de la cible, n'ont convaincu que les convaincus. «La Forteresse» a contribué à rouvrir le débat sur la question de l'asile, même si l'on m'a fait des procès d'intention. C'est cette ouverture-là que je souhaite pour «Vol spécial». Et puis la réalité parle parfois d'elle-même. Quand on voit le vautour de «Lucky Luke» planté à l'entrée de Frambois, il n'y a absolument rien à ajouter à cette image!

Vous avez évité de parler des tentatives de suicide, d'évasion, qui ont pourtant lieu à Frambois, pour quelles raisons?

Il faut savoir que ce film-là est le tout premier qui a pu être tourné dans un centre de rétention en Europe. C'est historique! La raison est simple, à un moment donné, tu es sur le fil du rasoir.

Si tu dépasses une certaine frontière, tu risques de provoquer le rejet.

Nous avons été témoins d'automutilations, de suicides, nous avons ces séquences. Mais à un certain moment, tu dois mettre ça à distance. On peut me le reprocher, je n'ai pas la vérité infuse ni universelle, mais c'est mon choix. Je ne voulais plus que l'on voie des requérants d'asile déboutés, je voulais que l'on voie des pères de famille. Je craignais aussi que le suicide dédouane le spectateur, parce qu'il est difficile de faire de l'empathie «intelligente» avec un type qui s'est automutilé et qui est couvert de sang.

Dans un débat qui a eu lieu dimanche au Festival du Film français à Bienne, la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga vous a remercié d'avoir réalisé «Vol spécial»…

La politique est trop souvent de l'ordre de la pure manipulation, surtout aujourd'hui. Pour s'en convaincre, il suffit de constater que la représentation de l'étranger ou du requérant d'asile, pour un certain parti, passe par un rat, un corbeau ou un mouton noir. Dans mon film, on voit des visages, on voit des êtres humains. Moi, j'essaie de dire: «Vous faites des lois, d'accord, mais n'oubliez pas que l'on parle d'êtres humains, de familles brisées»! Avec un peu de sensibilité et d'empathie, on comprend très bien que ces gens sont au fond du désespoir. Ça se lit dans leur regard! Souvenez-vous de Dürrenmatt quand il a dit aux politiques que la Suisse était une prison dont les habitants sont à la fois les gardiens et les prisonniers. Avec «Vol spécial», on est en plein dans ce paradoxe: qui est qui là-dedans? Qu'est-ce qui nous a conduits à une telle absurdité?

Clairement, les gardiens de Frambois se donnent pour mission d'humaniser le système. Vous les avez vraiment voulu partie prenante du film?

Il est lâche de dire qu'ils cautionnent le système et de s'en tenir là… Ils ont décidé d'assumer, en se disant mieux vaut être là que de les abandonner. Me traiter de fasciste, parce que je les montre dans leurs contradictions, est un contresens. A la fin, je vous rappelle que le directeur de Frambois déclare qu'il a honte d'être suisse!

A la fin de votre film, et c'est l'une de ses grandes forces, on ne peut que se demander ce que sont devenus les protagonistes?

Chaque fois qu'une personne partait, par amitié, on s'inquiétait pour elle. On leur a demandé de nous donner le nom d'une personne de contact en Suisse ou dans leur pays d'origine. Elles n'ont pas forcément de portable et c'est très difficile de rester en contact. Mais on a réussi avec toutes les personnes que l'on voit dans le film. On a pu savoir comment s'était passé le vol, comment elles étaient arrivées. On s'est dit qu'on ne pouvait pas les lâcher. Dans un documentaire, on ne montre jamais ce qui se passe après alors que, pour certains de protagonistes, on sait que cela a été dramatique… D'où l'idée d'une série Web documentaire pour donner des nouvelles de chacun et qui sera en ligne au printemps 2012.

«Vol spécial» de Fernand Melgar.
Séances spéciales en présence du réalisateur:
La Chaux-de-Fonds: samedi 1er octobre à 17h45, Cinéma Scala
Neuchâtel: samedi 1er octobre à 20h30, Cinéma Bio

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