De Jason à John Wayne, la forme du mythe continue d'agir sur notre imaginaire et de guider nos rêves d'aventures les plus hollywoodiens. Mais que se passe-t-il quand, dans un raccourci permis par la création artistique, les héros grecs investissent notre Occident contemporain? La compagnie Xua-Xua développe cette expérience au théâtre de la Poudrière, à Neuchâtel. Ses «Histoires de bâtards» font le remake déchu d'un triple destin tragique: celui de Phèdre, d'Hélène et de Jason.
Le dramaturge neuchâtelois Matthieu Béguelin s'interroge sur la possibilité d'écrire une tragédie au 21e siècle. Il donne au genre un visage de série B, qui ne tient ni de Racine ni d'Euripide. Ses personnages sont des médiocres; leur langage est direct et grossier; leur passivité, leur pauvreté ou leur naïveté les exclut pour toujours d'une société américaine qui n'accorde aucun crédit à l'espoir désintéressé.
Jason (Matthieu Béguelin) abandonne sa famille dans un supermarché pour fuir vers le Grand Sud; au sein d'une Floride vieillissante, Phèdre (Aurélie Candaux) tente de séduire le palefrenier de son morne épouseur; désireuse de donner corps à son unique fantasme, celui de passer à la télévision, Hélène (Fanny Pelichet) signe les pires contrats.
Tout cela nous est raconté d'un purgatoire sordide. Suicides improvisés ou maladroits homicides, les morts des trois antihéros répondent moins aux nécessités implacables du destin qu'aux acharnements de la malchance.
Normal à une époque où la notion de tragique s'est elle-même abâtardie. Les trois comédiens s'adressent au public sans quitter la chaise qu'ils ont posée devant lui. Aucune interaction ni mouvement significatif dans la mise en scène minimale de cette courte pièce. Mais le mythe est d'abord une parole. Et la parole de Béguelin est d'abord une action. Le récit pornographique de la guerre de Troie devrait suffire à s'en convaincre!
Neuchâtel, théâtre de la Poudrière, les 3, 7, 8, 9 et 10 octobre à 20h, et les 4 et 11 octobre à 18h