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De sacrées rasades d'une bonne histoire

25 mars 2011, 16:11

CRITIQUE - PAR PHILIPPE VILARD

Voilà une histoire bien raide qui se lit d'une traite comme on descend du brutal frelaté, un de ces tord-boyaux distillé en clandé dans les montagnes de Virginie, dans le comté de Franklin. Parce que ce roman sauvage et violent, éclairé par le clair de lune et les alambics des «moonshiners» et autres «bootleggers», bref par tous ceux qui trafiquent la bibine, ne parle que d'alcool. Forcément, il se joue en pleine prohibition. Toute une Amérique rurale clapote, macère, marine, s'imbibe consciencieusement. Les hommes, blancs et noirs, n'ont que du grille-neurones de contrebande à biberonner pour oublier leurs misères quotidiennes et la crise qui ruine leur présent. Pour s'en sortir, la fratrie des Bondurant a choisi son business. Forrest a une stratégie et le sens des affaires. Howard sait distiller tous les grains pour les faire monter à la tête des clients et Jack, le petit dernier, songe à profiter des dollars faciles. Dans ce monde violent où les comptes se règlent virilement à coup de surin, de rasoir ou de soufflant, les flots d'alcool appellent des rivières de sang car les hommes de loi, loin d'être des incorruptibles, veulent leur pourcentage.

Si tout coule avec la fluidité d'une gnôle sous la plume de Matt Bondurant, c'est parce qu'il l'a trempée dans la liqueur des souvenirs familiaux. Il brosse la geste de son grand-père et de ses grands tontons flingueurs. Ce récit dingue comme une de ces histoires de bistrot trop belles pour être vraies, est à peine coupé d'éléments de fiction par le biais d'une enquête journalistique. Le dosage de ce cocktail qui donne le tournis sort d'un shaker qui brasse histoire et littérature. Sur fond de Grande Dépression, Matt Bondurant renvoie ainsi son lecteur à tout un pan de la littérature américaine. Son univers évoque aussi bien le trop méconnu «Une poire pour la soif», de James Ross que l'hallucinant «Suttree» de Cormac Mc Carthy ou le légendaire «Fantasia chez les ploucs», de Charles Williams. Voilà un livre qui tire facile un bon paquet de degrés, qui râpe la gorge, brûle les tripes et soulève parfois le c½ur. Un livre qui enivre.

«Pour quelques gouttes d'alcool», Matt Bondurant, éditions de l'Archipel, 345 pages

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