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Dans les espaces nus du désert et du théâtre

Expériences existentielles et théâtrales nourrissent «Le dérouleur d'infinis». Rencontre avec Pier Vay, auteur de ces textes inclassables qui dialoguent avec des photographies de Marc Bloch.

26 juin 2010, 10:08

Ni une fiction, ni une autobiographie. En partie une autofiction mais pas un testament. Difficiles à classer, les textes du «Dérouleur d'infinis» dialoguent, indirectement, avec les photographies de Marc Bloch et se donnent comme une succession de méditations.

Einstein disait ne connaître que deux infinis, l'univers et la bêtise humaine, rappelle Pier Vay, qui enseigne au lycée Blaise-Cendrars de La Chaux-de-Fonds. «Et encore! Il n'était pas sûr du premier». Lui en déroule d'autres, certains vides en apparence, comme le désert et le plateau de théâtre, un lieu qu'il investit en tant que responsable et metteur en scène du groupe théâtral du lycée. «J'ai toujours eu une sensation étrange, celle de voir le plateau habité par les millions de gestes qui y ont été faits. Il faut donc, à chaque fois, le désencombrer!» Le désencombrer pour le rendre à l'émergence d'une apparition éphémère, de l'instant présent. A travers le théâtre, le narrateur fait «l'expérience intérieure de [sa] propre solitude. Cette année-là, j'ai su que mon amour tardif de la scène tenait à une impossibilité existentielle: celle de me constituer pleinement en tant que sujet.» Et c'est bien «la mort du sujet dans nos sociétés, son éclatement ou sa disparition, que désignent le texte et, plus encore, les remarquables photographies de Marc Bloch», complète l'auteur.

Evocation des pièces travaillées et jouées de 1986 à 2009, les fragments consacrés à l'expérience théâtrale rendent, aussi, hommage à tous ces jeunes acteurs ainsi déroulés et, peut-être, dérouleurs du monde féroce qui les entoure. Ces «méditations» alternent avec d'autres rencontres, amicales ou amoureuses, qui parfois dessinent le chemin menant aux origines, à l'Italie de l'enfance. «Dans l'espace surpeuplé du monde surgissent des êtres qui nous font sortir de soi plutôt que d'alimenter notre narcissisme», dit l'auteur à propos de ces «Infiniment autre». Pier Vay se défend d'avoir voulu faire étalage d'une intimité, comme pourrait le faire croire aussi une seconde partie, qui met en abyme un double du narrateur. Un homme vient de mourir. Il s'appelle Kivi Alapkö. Une femme qui l'a aimé sans retour a reçu ses écrits en héritage...

La voix qui parle dans «Le dérouleur d'infinis» est un «je» qui n'est pas le «moi». «Des choses sont fictives et travaillées pour qu'on les croie réelles, d'autres, réelles, peuvent être perçues comme fictives. Le matériau utilisé, c'est le mien bien sûr, mais, par le petit bout de la lorgnette, même par des anecdotes, je parle surtout de notre monde, c'est un quart de siècle que j'évoque.»

Ni fiction, ni autobiographie. Mais une exigeante expérience existentielle que le lecteur est, idéalement, amené à faire lui-même, une difficile quête de sens dans une société où l'on remplit des caddies qui à leur tour alimentent les poubelles. /DBO

«Le dérouleur d'infinis», Pier Vay (textes) et Marc Bloch (photos), éd. de l'Hexagramme, 2010. Sur le Net: www.lederouleurdinfinis.ch

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