1957. Un jeune homme de 19 ans sort de prison pour un crime que l'on devine vaguement. Après deux ans d'attente il rentre enfin chez lui, mais son père l'accueille avec une rage contenue. C'est là toute l'histoire de l'enfance de Lewis: la froideur d'un père qui l'amènera à faire toujours pire, dans une société rapide à désigner une brebis galeuse et à ne plus jamais lui laisser de répit.
1945. Démobilisé, Gilbert semble un étranger à son fils et ne cessera jamais de l'être, alors que sa femme Elizabeth, contrairement à ce que veulent leur époque et leur milieu, s'occupe personnellement de lui avant qu'il ne soit envoyé en pension. Cette enfance aurait pu être radieuse si Elizabeth ne s'était pas noyée en présence de Lewis, incapable de la sauver puis d'expliquer l'accident. Dès lors, aucun adulte ne saura lui donner de la tendresse, et de terribles maladresses en malentendus, Lewis deviendra un être taciturne infréquentable, y compris par les enfants de son âge. Sa tristesse se transforme en violence, et seule la petite Kit, que son père Dicky bat en secret, lui trouve des qualités.
«Le Proscrit» semble illustrer l'acharnement du destin sur une âme sensible, mais c'est l'empressement d'une communauté à encenser ses éléments riches et puissants et à détruire ses éléments faibles ou anticonformistes qui est désigné. Dans cette petite ville du Surrey au sud de Londres, les habitants voient ce qu'ils veulent bien voir et confortent l'ordre de la société chaque fois qu'ils le peuvent, en condamnant un innocent s'il le faut. Avec ses personnages bouleversants, son analyse psychologique convaincante, ses esquisses tour à tour savoureuses et violentes de la société bourgeoise anglaise, et son habileté à toucher les cordes sensibles de son lecteur, Sadie Jones réussit ici un très beau premier roman. Très cinématographique sous certains aspects, un succès de librairie en Angleterre, son adaptation au cinéma est déjà prévue.
«Le Proscrit», Sadie Jones, traduction de l'anglais par Vincent Hugon, éditions Buchet /Chastel