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Au drame intime, Dürrenmatt préfère le pugilat grotesque

Friedrich Dürrenmatt a écrit «Play Strindberg» à partir de «La danse de mort» du dramaturge suédois. Créée à La Chaux-de-Fonds, la pièce tourne dans la région dès mercredi. Spécialiste de Dürrenmatt, Ulrich Weber en éclaire la genèse. «Dürrenmatt a transformé la tragédie bourgeoise de Strindberg en comédie noire», dit Ulrich Weber.

01 mars 2007, 12:00

La première rencontre de Dürrenmatt avec «La danse de mort», d'August Strindberg, remonte à 1948. L'écrivain a 27 ans, il assiste à une représentation au Schauspielhaus de Zurich. D'une nouvelle approche, vingt ans plus tard, naîtra sa pièce «Play Strindberg». Créée en janvier au Théâtre populaire romand (notre édition du 11 janvier) dans une mise d'Alain Barsacq, jouée ensuite à L'Atalante à Paris, la pièce poursuit sa tournée dans la région, dès mercredi.

En 1968, Dürrenmatt partage la direction du théâtre de Bâle avec Werner Düggelin, raconte Ulrich Weber, conseiller scientifique du Centre Dürrenmatt Neuchâtel, rencontré en marge de son exposé sur la genèse de «Play Strindberg», en janvier dernier.

«La danse de mort» figure au programme de la saison bâloise, le texte est mis en travail sous la houlette de Dürrenmatt. Très vite, celui-ci bute sur cette pièce trop bourgeoise et trop psychologisante à son goût. «De la peluche multipliée à l'infini», commente-t-il. En quête de nouvelles orientations dramaturgiques, il remet alors entièrement l'ouvrage sur le métier. Jusque-là, il écrivait ses pièces chez lui, les mettait à disposition des acteurs et du metteur en scène, procédait à des retouches lors des premières représentations».

Désireux de se confronter aux aspects pratiques du travail scénique, il écrit cette fois-ci le texte lors des répétitions. «Pour Dürrenmatt, une pièce est une partition qui prend vie grâce aux acteurs. Avec «Play Strindberg», il pousse cette idée à l'extrême. Au début, le texte se présente comme le protocole d'un travail d'équipe, il s'élabore au fil des discussions avec les comédiens», dit Ulrich Weber. Sous la plume de Dürrenmatt irrité par le pathos du texte originel, le conflit du couple imaginé par le Suédois change de ton. Les dialogues sont courts, radicalisés. On assiste à un jeu de ping-pong, à un combat verbal. Stimulé par une projection de «Week-end», le film de Godard, le dramaturge imagine un ring de boxe, un découpage en rounds. «Ce combat est tellement grotesque qu'il empêche toute empathie, toute identification. Chez Dürrenmatt, c'est la comédie qui crée la distanciation».

Avec «Play Strindberg», Dürrenmatt signe son dernier grand succès de dramaturge. Repris ensuite, le style et les choix formels de cette pièce-là le mèneront dans une impasse. «Les metteurs en scène d'importance se sont détournés de ses pièces». Autre déception, l'aventure bâloise tourne court après un an et demi de collaboration. «A cette époque, Dürrenmatt accordait la priorité à ses textes dramatiques. Il rêvait sans doute de devenir le dramaturge résidant d'un théâtre où il pourrait expérimenter ses idées, à l'image de Brecht et de son Berliner Ensemble». Or Düggelin, que l'avant-garde française fascinait, ne destinait pas son théâtre au développement d'une seule esthétique. Et n'avait, de ce fait, nullement l'intention de laisser son théâtre sous la coupe de Dürrenmatt...

Dans cette «crise» des années qui suivirent, Ulrich Weber voit l'un des facteurs qui ont réorienté l'écrivain vers la prose. Mais ceci est une autre histoire... /DBO

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