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Une violence sans visage en Russie

30 mai 2011, 11:30

Affublé d'un masque, Artem, supporter du Spartak Moscou, ne passe pas inaperçu. Face à lui, dans la tribune, les orateurs se succèdent. Ce jour-là, en plein centre de Moscou, ils sont un millier à demander la réduction des aides sociales accordées par l'État russe aux républiques du Nord-Caucase à majorité musulmane, frontalières de la Géorgie et de l'Azerbaïdjan.

Le public, après un passage sous les portiques de sécurité, reste confiné derrière les robustes barrières. «Ce sont les Caucasiens qui tuent les Russes, je l'ai vu sur des vidéos», affirme Artem, un drapeau russe flottant au-dessus de lui.

La manifestation se tient en plein mois d'avril, période où le nombre d'agressions contre les étrangers s'envole. Autour du 20 avril, date anniversaire d'Adolf Hitler, des groupes néo-nazis honorent le Führer en tabassant tout ce qui n'a pas l'air d'un slave. 11 morts déjà pour 2011. Et, depuis les affrontements du 11 décembre 2010 place du Manège (voir encadré), une digue a cédé: la haine s'affiche désormais au grand jour.

«Ne donnez pas à manger aux Caucasiens!», scande la foule. Le jeune Artem répond en levant les bras au ciel. Il fait partie des 53% de Russes qui considèrent que la Russie doit leur appartenir, selon un sondage de l'institut indépendant Levada. Un sentiment accentué par l'attentat terroriste de l'aéroport de Domodedovo le 24 janvier 2011.

Les Caucasiens en ligne de mire

Autre décor, autre ambiance. Au volant de sa Ford, Dmitri Demoushkin juge lui aussi que l'on dépense trop pour les Caucasiens. Il roule à tombeau ouvert dans la banlieue moscovite. «J'aurais préféré une voiture allemande», rigole le leader de Slavjanskij Sojuz (L'Union slave) durant douze ans. A 32 printemps, Dmitri reste une figure du mouvement skinhead en Russie.

Slavjanskij Sojuz reprend en cyrillique l'abréviation de «SS». Très organisé, le mouvement skin puise nombre de ses préceptes de l'Unité nationale russe, entité extraparlementaire inspirée du nazisme et qui participa à une tentative de coup d'Etat contre Boris Eltsine.

En 2010, l'organisation est interdite, considérée comme «trop extrémiste» par la justice. Elle changea alors de nom et poursuit son chemin. Une pratique courante en Russie.

«Plus personne ne représente cette moitié des Russes qui ne veulent pas des musulmans ici», regrette Dmitri, en caressant sa barbe rousse, devant une tasse de café ouzbèk à l'arrière d'un restaurant. Lui donne l'exemple: il entraîne les forces spéciales russes en Tchétchénie et initie des membres du FSB, l'ex-KGB à l'usage des armes blanches.

Devant le journaliste étranger, le camarade Demoushkin se permet quelques écarts de langage. «Je préférerais avoir 20 000 mauvais Azerbaïdjanais», assène-t-il, «plutôt qu'en avoir 20 millions bien intégrés. Ils menacent notre culture et notre mode de vie.»

Pour le reste, ce diplômé en psychologie manie la langue de bois aussi bien que le couteau. Il en a d'ailleurs toujours un dans sa poche intérieure de veste. «Pour se protéger, en cas d'attaque.» Le salut nazi? Il se fait appeler le Führer, mais prétend n'avoir jamais tendu le bras. Sur son bras droit, une croix gammée tatouée. Il dit condamner la violence, ses relations sont «excellentes» avec les antifascistes et les défenseurs des droits de l'Homme. En 2004, il fut pourtant arrêté pour l'empoisonnement d'un activiste avant d'être soupçonné deux ans plus tard d'avoir perpétré un attentat contre une salle de prière islamique.

«Quand vous vous promenez à Paris, ça ne vous dérange pas ces hordes d'Arabes et de Noirs propriétaires de vos magasins?», interroge-t-il soudainement, avant de partir.

Se regrouper pour exister

A côté de Demoushkin, Vladimir Ermolaev dans son costard-cravatte passerait presque pour un enfant de chœur. Dans ce bar lounge du centre, l'ancien leader du Mouvement contre l'immigration illégale (DPNI) professe pourtant la même radicalité. Le 18 avril dernier, le DPNI a aussi été fermé sur décision de justice. Créé en 2002, il était un des partis les plus actifs dans la société. Souvent accusé de recourir à la symbolique nazie à sa cause, il avait pour objectif premier la déportation de tous les migrants illégaux hors du territoire.

«Je veux protéger la Russie contre les barbares», explique ce sociologue de formation, passionné par l'empire romain et admirateur de Marine Le Pen. Son débit est régulier, ses mots bien choisis. «Je parle de ceux qui font des attentats dans le métro à Moscou, et qui débarquent sur l'île de Lampedusa.» Il en est sûr: avec le printemps arabe, la «révolution des Russes contre le pouvoir et les étrangers est proche.»

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