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«Nous sommes à bout de forces»

Les pilotes se battent pour pouvoir prendre leurs jours de vacances dus. A l'heure des derniers pourparlers, un commandant de bord témoigne.

11 avr. 2011, 12:11

Commandant de bord sur Airbus A320, soit des vols couvrant l'Europe, l'Afrique du Nord et les Iles Canaries, engagé depuis plus de vingt ans, d'abord chez Swissair puis chez Swiss, ce pilote préfère garder l'anonymat, en raison des négociations en cours entre son syndicat, Aeropers, et Swiss. Après l'échec des négociations fin décembre et celui d'une prolongation de trois mois, les 920 pilotes représentés par le syndicat et Swiss n'ont plus de CCT depuis le 1er avril. Les séances de discussions se succèdent devant l'Office zurichois de conciliation en matière de conflits collectifs du travail et personne ne pipe mot avant leur conclusion.

«La quantité de travail est devenue insupportable et le repos manque. Cela fait neuf ans que je suis chez Swiss: cela fait neuf ans que j'entends que nous sommes dans une situation exceptionnelle. C'est devenu la norme. En 2010, j'ai pu prendre mes premières vacances en septembre. Finalement, j'ai eu quatre semaines, au lieu de plus de 6 semaines dus à mon ancienneté. Vous imaginez ce que l'on peut organiser, lorsqu'on a des enfants… Avoir un minimum de vie sociale est impossible.

Nous recevons nos plans de travail le 24, pour le mois suivant, mais ils sont sans cesse modifiés. Sur six jours de travail d'affilée, au maximum, il n'est pas rare que nous dormions trois fois à l'extérieur. Et quand nous sommes de piquet, nous devons être en une heure à l'aéroport si nous sommes appelés. Avec les changements incessants de plans de vol, nous finissons par travailler, parfois 60 heures par semaine, mais surtout quand nous devrions avoir congé et vice-versa… La compagnie nous doit au total 10 000 jours de vacances! Nous sommes à bout de forces.

Beaucoup de pilotes tombent malades, parce qu'ils sont trop fatigués. Nous avons d'ailleurs le droit, et le devoir, de dire: «Aujourd'hui je ne suis pas apte à voler». Nous pouvons quitter le cockpit ou l'avion jusqu'au dernier moment. Les changements d'horaire ont toujours existé, mais, avant, il y avait assez de personnel. Ce n'est plus le cas. Le manque de pilotes résulte d'une mesure prise à la naissance de Swiss. A ce moment-là, il a fallu réduire le personnel, et on a «coupé» vers le haut, avec des retraites anticipées à 52 ans au lieu de 57, et vers le bas, en renvoyant les jeunes pilotes. Pendant cinq ans, il n'y a pas eu de départ à la retraite. Maintenant, entre 20 et 30 pilotes partent à la retraite chaque année, mais on est en plein boom aéronautique, la compagnie s'étend et achète des avions à tour de bras. Cela fait 20 ans que j'entends que nous, les pilotes, sommes des privilégiés et que nous ne devrions pas nous plaindre! C'est un cliché sur la profession... Mais nous ne pouvons continuer comme ça. Je dirais que 99% d'entre nous sont prêts à la grève.

Les pilotes de Lufthansa (propriétaire de Swiss, ndlr) avaient abandonné 20-25% de leurs coûts, mais ils ont récupéré lorsque la conjoncture s'est redressée. Nous, nous coûtons 60% des coûts totaux d'un pilote de Lufthansa, et 60% de ce que l'on coûtait à Swissair. Nous étions peut-être gâtés avant, mais maintenant, nous sommes opprimés! Un commandant qui part à la retraite, après avoir transporté des dizaines de milliers de personnes pendant trente ans, gagne beaucoup moins qu'un fondé de pouvoir de la banque cantonale vaudoise. Mais moi, si je me pose un mètre à côté de la piste, des gens meurent ou, dans le meilleur des cas, ma carrière est fichue. Tous les six mois, nous sommes testés en simulateur, nous avons une visite médicale et nous devons sans cesse nous former, car les règlements et les check-lists changent tout le temps - sur notre temps libre.

Notre talon d'Achille est d'être attaché à la compagnie. J'en suis à mon septième CEO… Même si l'environnement n'est plus le même, on oublie souvent les problèmes quand on commence un vol. Heureusement on ne nous enlèvera jamais la beauté d'un lever de soleil sur les Alpes et de la nature, ni la responsabilité de faire arriver tout le monde à bon port, avec le sourire dont nous gratifient certains passagers à l'arrivée.

Raboter la grandeur des repas, mettre moins de beurre sur le plateau, ça peut passer… mais nous ne pouvons pas être indéfiniment pressés comme des citrons. Nous voulons un peu de stabilité. Nous aimerions pouvoir profiter de la flexibilité que nous avons donnée à l'entreprise pour pouvoir passer un repas en famille, de temps en temps.»

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