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Errances sur le Toit du monde au royaume interdit du Haut Mustang

Pour avoir suivi une carte farfelue, Gaël Métroz est perdu sur le toit du monde, dans le Haut Mustang, à la frontière du Tibet. Huitième volet du carnet de route du réalisateur valaisan.

31 janv. 2011, 08:26

Je paierais cher pour rencontrer M. Paolo Gondoni. Grâce à lui et à ses cartes médiévales, je suis parfaitement perdu. Merci M. Gondoni, sans vous je n'aurais sans doute jamais traversé ces canyons fascinants. Si maintenant, sur votre carte farfelue, vous pouviez m'indiquer le moyen d'en sortir, ou l'adresse d'un bon lit, voire d'un peu de nourriture à glaner… parce qu'ici, c'est le désert! Le désert depuis trois jours déjà.

Ce dernier mois de marche, j'ai perdu pas mal de poids, mais je me sens bien, au fond, au cœur de l'oignon. Parce qu'autour, je pèle couche par couche. Sur le nez et les oreilles, il ne doit bientôt plus rester que le cartilage - quelle idée de m'être rasé le crâne à Varanasi!

Royaume sous-marin où les flots sont devenus vent à 5000 mètres. Rencontré un vautour qui me lorgnait d'un œil inquiétant. Un lézard égaré, une licorne. J'ai aussi, rangée je ne sais jamais où, une puce que je conserve depuis la paillasse du dernier village. Je la nourris du mieux que je peux et on bavarde, quand elle veut, quand le vent n'emporte pas nos paroles. On bavarde un peu pour ne pas trop se sentir seuls.

Pour avoir suivi cette antique carte qui indique des raccourcis inexistants, je suis descendu à 4800 m pour m'apercevoir que le gué bien indiqué sur la carte était un canyon infranchissable - un canyon quoi! Remonté à 5400 m pour redescendre à nouveau dans la vallée parallèle où, cette fois, une simple falaise m'attendait.

Je sens mes muscles harceler chaque cellule pour un peu d'énergie. Et là, c'est l'instant où il faut grimper encore, le souffle court, à coup de trois pas, et pour des heures encore. C'est l'instant où on en veut au monde entier et à soi surtout. L'instant où l'on voudrait prier… ou pleurer. Mais j'ai désappris les deux, alors je marche, rampe dans la caillasse abrupte, mon sac retombant sur la nuque, m'envoyant balader de gauche et de droite à chaque coup de rein. Trente kilos de matériel pour tout enregistrer scrupuleusement comme on épinglerait des papillons: batteries, micros et presque plus de nourriture.

Orgueil, naïveté, bêtise. Les cavaliers du dernier village m'avaient pourtant averti: «Jamais entendu parler de ce raccourci, l'ami!» Ici, la tradition orale prévaut encore sur la science. Et cette carte compte décidément moins que les conseils du voisin qui vient de passer cette crue, de traverser cet éboulis. Mais je viens d'un monde de sciences moi, et là encore, j'ai eu tort. Il me faut revenir sur mes pas et retrouver, demain sans doute, le dernier village où je ne chipoterai pas sur les lentilles cette fois. Si je marche bien, cette nuit, je pourrai dormir à nouveau dans cette grotte où j'ai pris mon dernier repas, hier…

Suivre la rivière asséchée au creux des canyons, entre les falaises, les cheminées. En haut, la lumière fuse entre les piliers de sable, les nuages défilent en accéléré sur les cimes.

Atteindre ces crêtes et les longer, de canyon en canyon, jusqu'à la falaise. Le passage est juste assez large pour un pied humain. De chaque côté le sable fond au ralenti sur des centaines de mètres. Une lanière de cuir de yak permet de redescendre dans la falaise jusqu'aux grottes qui sont une trentaine de niches troglodytes désertées depuis un millénaire.

Dans la mienne, il doit rester un fond de riz et ces trois vieilles pommes de terre qui ne me sembleront plus si vieilles aujourd'hui. Quelques mètres en aval, près du monastère perché dans la falaise, il y a cette autre grotte d'où sort parfois un chant. L'entrée est barrée par une traverse de bois et un moine y passe sa retraite. Selon la tradition, les moines s'isolent trois ans, trois mois et trois jours sans se couper un poil ni un cheveu. J'ignore qui ravitaille celui-ci, mais je sais que si la faim me tenaille trop, il me faudra le déranger. Deux d'entre eux ont recouvert de fresques les murs de ma grotte: le premier au 12e siècle sans doute, le seconde au 14e. Assis en tailleur, ils avaient aussi pour méditation cette succession infinie de plans, ce champ de cheminées rouges pointant vers le ciel sur des kilomètres, puis ces collines de sable ocre, ces falaises de sang, les autres collines coiffées de glace à 8000 mètres, les Annapurnas, le Dhaulagiri. Diarrhée, pas faim. Les culottes en bas, comme un roi je trône sur le toit du monde.

Sur mon épaule, entamant son repas, ma puce pense de même. /GME

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