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Danse macabre sur les rives de l'antique cité sacrée de Bénarès

L'antique Bénarès, ou Varanasi, est une des villes les plus sacrées de l'Inde. Chaque Hindou rêve d'y être incinéré sur les berges du Gange pour échapper au cycle des réincarnations. Le sixième épisode du périple himalayen du réalisateur Gaël Métroz.

29 sept. 2010, 12:05

Cinquante degr?s. Les rues sont d?sertes tout le jour. Seuls travaillent les b?cherons et les parias qui br?lent jour et nuit des dizaines de cadavres sur les rives. C'est que chaque Hindou r?ve de se faire incin?rer dans la ville sainte de Varanasi. Nomm?e Kashi, Cit? de la vie, ou B?nar?s, elle est la plus ancienne ville du monde encore en activit?. Mais, ? part transpirer ? plein-temps, la grande activit? de Varanasi, c'est d'y laver ses p?ch?s pour ?chapper au cycle des r?incarnations ou, plus directement, y mourir. On dit que Varanasi est le passage entre l'univers physique et spirituel. J'ignore si c'est tr?s spirituel, mais l'univers de cette ville touche merveilleusement ? la folie d?s que l'?il du soleil ne la guette plus.

Quarante et un degr?s. D?s que la nuit am?ne un peu de fra?cheur, la vie prend sa revanche, rageuse, empress?e, maladroite. Les vaches se ruent sur les d?chets, les hommes sur le tabac ? chiquer et les petits arnaqueurs tentent de faire leur butin au plus vite. Sur les rives, entre les b?chers de cr?mation et les chiens qui se partagent les restes des cadavres, on joue au cricket en hurlant. La foule s'amasse, se bouscule, s'?peronne. Le vent br?lant a des go?ts de sang. Un agori baba, un fakir sacr? v?tu de guenilles vole un tibia au nez des chiens et se met ? le ronger. Lorsque je l'interromps pour lui demander pourquoi il mange de la chair humaine, il m'en tend un morceau et me r?pond: ? Je ne suis pas cannibale mais philosophe. Et il est temps que les hommes cessent de se b?tir des tabous. Le cadavre d'un poulet vaut bien celui d'un homme. Tout ce qui a ?t? cr?? par Dieu ne peut qu'?tre bon. C'est juste ton regard qui cr?e le mal, le sale, l'interdit?. Il y a une folie sourde dans cette touffeur. Songeant encore ? ces paroles, j'allais chez le barbier pour me faire raser tant il fait chaud et je me suis trouv?, une lame sur le front, la boule ? z?ro. Il m'aurait fait les sourcils que je ne m'en serais pas aper?u. Sans doute que l'agori baba avait raison: ?C'est tr?s bien comme ?a?.

Le syndrome de l'Inde

Il est facile de se perdre ? Varanasi, de se perdre pour de bon, tant la ville est ?trange, dangereusement myst?rieuse. Au-del? des apparences exotiques, l'Inde est le pays qui choque le plus la culture occidentale - chaque ambassade a des psychologues qui travaillent au quotidien avec des voyageurs qui ont compl?tement perdu leurs rep?res. Cette maladie est devenue si courante lors du dernier si?cle qu'on lui a donn? pour nom le syndrome de l'Inde: ?Quand l'Occidental se trouve soudain confront? ? la mort dans la rue, ? la mis?re nue, ? la sensualit? crue et ? l'irrationnel. Bref, ? tout ce que, en Occident, nous avions mis si longtemps ? refouler dans les cimeti?res, hors des villes, dans les hospices et dans les lits?? C'est que l'Inde tol?re, l?galise et m?me exhibe ce que notre soci?t? s'?vertue ? refouler: la pr?carit?, la pauvret? et la mort. L'Occident tente par tous les moyens d'?viter toute maladie, toute odeur, toute douleur pour lutter contre la mort sous toutes ses formes - aseptisation croissante, l?gif?ration sur tout risque ?ventuel, assurances? La mort est devenue si cach?e, voire interdite, que l'on ose ? peine murmurer ?depuis qu'il est parti?, ?depuis qu'il nous a quitt?s?. Inversement, en Inde, le caract?re ?ph?m?re de la vie lui donne justement un sens. On accepte la mort ? Varanasi, on la sanctifie.

Quatre heures du matin et gu?re moins que 40?. Au sortir du barbier. L'agori baba fait ? nouveau ses courses entre les b?chers de cr?mation qui ?clairent les berges comme des feux de joie inqui?tants. Le vent se calme lentement et l'odeur de chair br?l?e envahit ? nouveau la ville. Sur la berge, un p?cheur au ch?mage me prend pour un tour de barque sur le Gange. Sa fille de dix ans l'aide ? ramer avec un rire rageur. Une jeune m?re, superbe dans son tissu orange, immerge son nouveau-n? dans les eaux du Gange. Autour d'elle, des cadavres y retournent, au Gange. Dans cette danse macabre, il n'est plus de castes, tous les Indiens sont ?gaux devant la mort, comme ? la naissance. Et cette humilit? fait du bien. La gamine qui rame encore en chantant me sourit. Ce matin j'aime plus cette ville que je la crains. Son chaos est un bon antidote ? ma vie trop artificiellement rang?e. Le syndrome indien, je le comprends cette fois.

Depuis, chaque nuit, lorsque la chaleur a d?finitivement eu raison du sommeil, lorsque, dans les rues, la foule fouette trop les relents d'?gouts, lorsque l'on a trop pouss? de gauche et de droite, trop klaxonn?, cri?, demand?, les pieds glissants dans la crasse de mes sandales, des vapeurs d'urine plein la t?te, je vais revoir la gamine du p?cheur et demande ? son p?re de m'emmener sur le Gange, passage pourri entre l'univers physique et spirituel. /GME

Continuez le voyage avec Ga?l M?troz en Inde sur son blog http://gaelmetroz.lenouvelliste.ch

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