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Au Kirghizistan, «prends ta fiancée et tire-toi!»

Au cœur de l'Asie centrale, la pratique d'enlèvement et de mariage forcé de jeunes filles existe encore. Et aurait même tendance à se développer...

08 sept. 2008, 08:04

A19 ans, Aïnura* en paraît seize. Menue, réservée, cette jeune provinciale raconte à mi-voix comment, mariée contre son gré après avoir été kidnappée, elle a fui pour Bichkek, capitale de la petite république du Kirghizistan, en Asie centrale ex-soviétique.

Etudiante en pédagogie à l'université, Aïnura gagnait son argent de poche en travaillant dans un café de sa ville de Karakol, dans le nord-est du pays. En décembre 2007, elle accepte d'aider une collègue à préparer des plats d'anniversaire chez elle. Sorties ensemble, les deux femmes sont rejointes par une voiture dont les occupants embarquent de force Aïnura, la coiffent d'un foulard et lui annoncent qu'elle est fiancée.

Arrivée à la maison de son «fiancé», Aïnura comprend que celui-ci est le cousin de sa collègue. Elle n'a jamais vu auparavant ce «berger du kolkhoze d'à côté, sans «aucune éducation». La famille du jeune homme écrit, au nom d'Aïnura, une lettre aux parents de la jeune fille, annonçant son mariage, qui a lieu le lendemain même, un mariage religieux musulman, non enregistré par l'état civil. La famille d'Aïnura accepte cet «Ala Kachuu» (ce qui signifie littéralement «prendre et s'enfuir»), cet enlèvement traditionnel d'une jeune femme dans le but de la marier. Le refuser serait perçu comme une honte.

Du jour au lendemain, l'universitaire se retrouve aux champs, et après un mois seulement, subit les remontrances de sa belle-famille qui lui reproche de ne pas travailler assez.

Si elle endure un temps cette situation, c'est pour ne pas porter «la honte sur ma famille». Jusqu'au jour où, désespérée, elle s'empare d'un couteau de cuisine dans le but de se mutiler, sans en trouver la force toutefois.

Elle se rend à la police, explique qu'elle se préparait à «faire quelque chose de mal, à attaquer quelqu'un et qu'il fallait m'enfermer. Mais ils n'ont pas voulu». Elle implore alors la police de l'emprisonner pour un vol imaginaire. Peine perdue. Un policier la met toutefois en contact avec une journaliste, qui la dirige vers le centre de soutien aux femmes Sezim, à Bichkek, où elle est actuellement hébergée.

S'il est difficile de chiffrer les enlèvements et mariages forcés au Kirghizstan, explique Biubiusara Ryskulova, directrice du centre Sezim, c'est que le terme d'«Ala Kachuu» recouvre des réalités diverses. Mais le phénomène n'en est pas moins récurrent. Il aurait même tendance à se développer et concerne également le milieu urbain, souligne Biubiusara Ryskulova, en citant le cas d'une doctorante, enlevée il y a quelques années à Bichkek.

Sanctionné par la loi, l'acte d'enlèvement d'une femme dans le but de la marier peut entraîner des peines de prison de trois à huit ans pour leurs auteurs. Cependant, comme l'explique Biubiusara Ryskulova, les procédures sont extrêmement pénibles pour les victimes. Kidnappée elle-même dans sa jeunesse, elle possède toutefois sa propre recette pour recouvrer la liberté, recette qu'elle essaie de transmettre aux victimes potentielles.

Quant à Aïnura, hébergée depuis trois mois au centre, elle ne craint pas la famille de son conjoint. Le mariage n'est pas enregistré à l'état civil, il n'existe pas légalement. Par contre, elle n'a plus aucun contact avec sa propre famille. «J'aimerais un jour pouvoir aller les voir pour m'excuser de la honte que je leur ai causée». /ALO

*Prénom fictif

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