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Dialogue avec un fils disparu

L’auteure américaine Yiyun Li publie «La douceur de nos champs de bataille», un récit où elle imagine un dialogue avec son fils aîné qui s’est suicidé. Sobre, délicat et poignant.

16 sept. 2019, 19:00
Yiyun Li.

Yiyun Li est une auteure reconnue aux Etats-Unis depuis la publication de son recueil de nouvelles «Un millier d’années de bonnes prières» (publié en France en 2011). Ce livre lui a valu de figurer sur la liste des meilleurs jeunes auteurs du magazine «Granta». Puis «Un beau jour de printemps» a été acclamé par la presse. L’intrigue de ce premier roman se déroule dans une petite ville de Chine, en 1979, et commence par l’annonce de l’exécution de Gu Shan, une ancienne garde rouge qui s’est permis de douter du parti. L’auteure y montre les effets d’un régime totalitaire, où peu tentent de résister.


Dépression

«Cher ami, de ma vie je vous écris dans votre vie», en lice pour le prix Médicis et le prix du Meilleur livre étranger en 2018, est publié en format poche cette rentrée. Entre récit et essai, il raconte deux années de dépression de l’écrivaine et plonge dans une série de grands auteurs comme Philip Larkin, Søren Kierkegaard ou Katherine Mansfield. Tout en interrogeant le sens de l’écriture et de la vie, la Chinoise exilée aux Etats-Unis parle de son choix d’écrire dans sa langue d’adoption.
Dans son dernier livre, «La douceur de nos champs de bataille», elle imagine un dialogue avec Nikolai, son fils aîné qui s’est suicidé. Ecrit dans les mois qui ont suivi ce drame, Yiyun Li parle de sa tristesse de mère avec beaucoup de délicatesse et tente de retrouver son fils grâce à l’écriture: «Je faisais ce que j’avais toujours fait: écrire des histoires. Dans celle-ci, l’enfant… et sa chère mère se rencontrent dans un monde à l’espace-temps indéterminé… C’était un monde créé par les mots, et par eux seuls.»


Le sens de la tragédie

Elle s’interroge avec son fils sur le sens du mot tragédie, et sa relation avec le temps, fait la guerre contre les clichés, et fait appel à l’étymologie pour les démonter. Avec beaucoup de tendresse et de douceur, sans aucun pathos, elle essaie de se mettre à la place de cet enfant disparu, et accorde une grande dignité à Nikolai et à son geste. Elle cite un poème de Philip Larkin, «Jours», puis songe: «Les jours: notre bien le plus simple, n’exigeant qu’une participation automatique. Les jours qu’il avait refusés viendraient, l’un après l’autre. Ni mes amis, ni mes ennemis, ils attendraient, à chaque lever du jour, avec leur patience et leur indifférence infinies, de voir s’ils pourraient me transformer en une amie ou une ennemie de moi-même. Ne t’excuse jamais, dis-je, de ce à quoi tu as renoncé.»


Anecdotes bouleversantes

Elle livre dans ce magnifique récit des anecdotes à la fois triviales et bouleversantes, et utilise des images classiques mais frappantes: «Tous les après-midi j’attendais au milieu d’un pâté de maisons, où j’avais eu l’habitude d’attendre que Nikolai et son frère arrivent dans deux directions opposées. Certains jours, rares, je me sentais assez disciplinée pour ne regarder que dans une seule direction. Les autres jours, je me retournais. (…) Me retourner engendrait toujours une certaine confusion dans mes pensées: il n’y avait pas de raison que la rue bordée d’arbres ne me ramène pas Nikolai, aussi tranquille qu’un héron cendré.» 
Yiyun Li cite aussi des poèmes qu’elle a aimés, parle poésie avec son fils, convie des souvenirs communs à eux deux, déplore qu’il ne puisse plus ressentir les mêmes émotions qu’elle. Elle cherche à comprendre, et ne peut s’empêcher de se poser mille questions, non sans humour: «Qu’est-ce que tu es forte, dit Nikolai, pour t’embrouiller toute seule.»
Malgré tout, se «retourner n’était pas une erreur, car aucune leçon ne pouvait être apprise». Il n’y a aucune leçon à apprendre de cette tragédie, aucune réponse à apporter et pas vraiment d’apaisement, mais la possibilité de créer un autre monde où il est présent, grâce aux mots. 
 


La douceur de nos champs de bataille, 

Yiyun Li, traduit de l’anglais par Clément Baude, Ed. Belfond, 160 p.
 


Cher ami, de ma vie je vous écris dans votre vie, 

Yiyun Li, traduit de l’anglais par Clément Baude, Ed. 10/18, 216 p.
 

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