«Nous sommes passés de l’euphorie au dur terrain de la réalité, mais sans perdre espoir»: c’est ainsi que Stefanie Becker, directrice de l’association Alzheimer Suisse, résume les événements autour d’une molécule inventée à l’Université de Zurich et développée par le groupe pharmaceutique américain Biogen sous le nom d’Aduhelm. Autorisé par l’agence d’homologation américaine en juin, le médicament s’attaque aux causes de la maladie et non à ses symptômes, comme les rares produits déjà existants. Mais l’autorisation est fortement contestée.

En Suisse, quelque 144 000 personnes vivent avec un diagnostic d’Alzheimer, indique l’association dirigée par Stefanie Becker. Pour elles et leurs proches, l’annonce de l’homologation de l’Aduhelm par la Food and Drug Administration (FDA) américaine, début juin, a représenté «une lueur d’espoir car, depuis près de vingt ans, 98% des recherches ont échoué», rappelle la directrice.

Nous sommes passés de l’euphorie au dur terrain de la réalité, mais sans perdre espoir.

Stefanie Becker, directrice de l’association Alzheimer Suisse

L’Université de Zurich, qui détient le brevet de l’aducanumab, s’est également dite «extrêmement réjouie». La molécule y a en effet été inventée, par deux chercheurs qui ont ensuite créé l’entreprise Neurimmune. En 2007, Biogen et l’entreprise japonaise Eisai ont obtenu la licence et ont, depuis, développé l’Aduhelm. Neurimmune n’est donc pas concernée par la polémique en cours autour de la FDA, fait-on savoir à Zurich.

Neurologues pas d’accord

Car polémique il y a. Dès l’homologation, des neurologues sont sortis du bois pour critiquer la décision. Les deux études soumises aux autorités n’avaient pas été concluantes. Elles avaient ensuite été réinterprétées selon un nouveau questionnement. La FDA n’avait pas suivi un comité d’experts opposé à l’autorisation. Enfin, l’agence a dû réduire le champ d’application. Pour couronner le tout, après des révélations sur des contacts informels entre Biogen et la FDA, des élus fédéraux ont décidé de passer le processus d’autorisation sous la loupe. Et la FDA elle-même a demandé une enquête… contre elle-même.

Un examen approfondi d’une autorisation de médicament est dans l’intérêt de tous les acteurs impliqués, et donc également de l’université.

Rita Ziegler, porte-parole de l’Université de Zurich

L’Université de Zurich ne commente pas ces investigations. «Un examen approfondi d’une autorisation de médicament est dans l’intérêt de tous les acteurs impliqués, et donc également de l’université», répond la porte-parole Rita Ziegler.

«Nouvelle ère»

Aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), le neurologue Giovanni Frisoni, directeur du Centre de la mémoire, suit la «saga de l’aducanumab», comme elle est nommée sur son site, depuis longtemps. Avec d’autres universités de Suisse, son équipe avait participé aux essais de phase 3. Pour lui, l’homologation marque «une nouvelle ère, comme cela a été le cas lorsque les premiers médicaments contre le cancer, ou contre le sida, avaient été autorisés».

Injectée par perfusion, la molécule, un anticorps dit monoclonal, passe la barrière hémato-encéphalique (entre le cerveau et le système sanguin). «Seuls 1 à 2% des anticorps passent, mais ça suffit, dit Giovanni Frisoni: ils vont se fixer sur la protéine bêta-amyloïde, qui compose la plaque sénile présente chez les malades, et l’éliminent. Visible grâce à l’imagerie médicale, le changement est spectaculaire.»

On risque de traiter beaucoup de personnes pour rien.

Giovanni Frisoni, neurologue aux HUG

Mais Giovanni Frisoni n’est pas non plus très heureux de la manière dont la FDA a procédé. Même corrigée, l’indication reste beaucoup trop large, selon lui. «Il aurait aussi fallu exiger que les médecins établissent la présence d’amyloïde dans le cerveau. Car on sait que l’examen diagnostique de la maladie d’Alzheimer est faux dans un tiers des cas», en raison d’examens non complets. «On risque donc de traiter beaucoup de personnes pour rien», craint le médecin.

Pour les spécialistes, malgré les critiques, la recherche va être relancée. «Même s’il y a environ 20 fois plus de moyens dans la recherche sur le cancer que dans celle sur Alzheimer, cette dernière ne va pas s’arrêter», estime Stefanie Becker. Giovanni Frisoni indique que «deux autres médicaments sont très avancés: le donanemab et le BAN2401. Le fait que ces deux produits aient, eux aussi, montré une efficacité dans des essais cliniques de phase 2 de taille conséquente, jette une lumière positive sur l’aducanumab, car il s’agit de la même technologie.»

Biogen a aussi déposé une demande d’homologation en Suisse et dans l’Union européenne. Giovanni Frisoni en est convaincu: «Il est fort probable que, d’ici deux à trois ans, nous ne parlerons plus de la polémique actuelle sur l’autorisation par la FDA.»

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