Diriger un home n’est pas de tout repos dans le canton de Neuchâtel. Certains préfèrent donc vendre leur affaire ou réunir leurs forces. Et de grands investisseurs de l’extérieur ont flairé la bonne affaire…

Ils ont pour nom Tertianum, Patrimonium ou encore Senevita. Ces groupes alémaniques, en mains françaises pour le dernier, sont des géants sur le marché du logement et des soins aux personnes âgées. Le premier semble particulièrement actif dans la région: «Quasiment tous les EMS privés (réd: qui ne dépendent pas d’une fondation sans but lucratif) ont été contactés», précise Patrick Schneider, président de l’Association neuchâteloise des institutions privées pour personnes âgées (Anippa). «Tertianum a entendu dire que certains établissements cherchaient à assurer leur pérennité. De tels groupes ont des moyens que nous n’avons pas pour nous développer.»

«Pas d’avenir pour un indépendant»

Plusieurs EMS neuchâtelois ont saisi l’offre de Tertianum comme, l’été dernier, Le Martagon, aux Ponts-de-Martel, et Chantevent, à Fresens. «Sans ce repreneur, nous aurions dû fermer, faute de rentabilité», explique Pierre Aubert, ancien directeur et propriétaire de Chantevent avec son épouse. Plutôt que de «se tuer à la tâche» et face au refus de ses deux enfants de prendre le relais, le Bérochal a préféré partir en retraite anticipée.

Vu ce que le canton met en place, il n’y a pas d’avenir pour les indépendants.

Pierre Aubert, ancien patron d’EMS à Fresens

«Vous avez l’impression de faire tourner un moulin à vent.» Pierre Aubert ne cache pas un certain découragement. L’Etat a réduit le prix de pension qu’il pouvait facturer, sur la base d’une évaluation à la baisse de son établissement, et lui a supprimé un lit.

«Au vu de ce que le canton met en place au travers de la planification médico-sociale, je ne vois pas d’avenir en tant qu’indépendant.» Pour un EMS de taille modeste, «il faut être salarié d’une fondation ou d’un groupe. C’est dommage, on perd le caractère humain, la proximité.»

Pierre Aubert déplore cette évolution qui, selon lui, contredit l’engagement du Conseil d’Etat, affiché par ailleurs, en faveur d’une économie dite de proximité. «C’est la même chose lorsqu’un service public confie la blanchisserie ou le nettoyage à une entreprise hors canton.»

Pierre Aubert en 2017 à l’EMS de Chantevent, à Fresens. Photo: Lucas Vuitel

Projet débloqué grâce à un gros investisseur

Une cession à Tertianum, il a en aussi été question à Boudry. «Nous avons eu de longues et productives discussions avec eux, mais je souhaitais continuer à exploiter moi-même», précise Oscar Fernandez, directeur de la résidence des Peupliers et futur patron, avec sa fille, de l’EMS qui naîtra de l’absorption de deux EMS de la région: Les Jonchères, à Bevaix, et La Chomette, à Chaumont.

Après un contretemps dû à la défection d’un premier groupe d’investisseurs, Oscar Fernandez a trouvé la parade avec Patrimonium: «C’est l’une des plus importantes sociétés de placements de capitaux en Suisse.» Dans le canton, on l’avait découverte il y a trois ans, alors qu’elle souhaitait racheter l’hôpital de La Chaux-de-Fonds, avec le groupe de cliniques privées Swiss Medical Network.

«On a essayé de trouver un financement dans le canton, avec une banque et des caisses de pension. Mais cela n’a pas marché. Sans le soutien d’une société de recherche en investisseurs basée en Valais, nous serions encore à battre le pavé à Neuchâtel», raconte Oscar Fernandez.

Le projet peut désormais aller de l’avant, puisque la commune de Boudry a signé l’acte de vente de la ferme Bellevue à Patrimonium mercredi 20 novembre. Un nouveau bâtiment, avec 50 chambres en EMS et 20 appartements avec encadrement, devrait être ouvert en 2021.

Oscar Fernandez sur l’emplacement du futur EMS qu’il dirigera, à Boudry. Photo: Lucas Vuitel.

Des robots à l’EMS

Alors qu’il est propriétaire aux Peupliers, Oscar Fernandez sera locataire de Patrimonium dans le futur EMS. «Cette solution me permettra de rester libre de pratiquer ma philosophie. A la base, je suis infirmier, mais je suis aussi passionné par les nouvelles technologies. Je pense que le développement de la cybersanté et du dossier électronique du patient fera définitivement sortir les EMS de la préhistoire.»

«Nous sommes au 21e siècle. Il faut améliorer notre façon de travailler et attirer les jeunes.» A titre d’exemple, Oscar Fernandez envisage de faire l’acquisition de robots pour le nettoyage ou l’accueil. «Cela ne sera pas au goût de tout le monde, mais permettra au personnel de respirer.»

Les EMS de l’Anempa aussi convoités

Des investisseurs extérieurs au canton démarchent aussi les homes sans but lucratif, réunis au sein de l’Association neuchâteloise des établissements et maisons pour personnes âgées (Anempa). Il s’agit d’offres d’achat ou de collaboration.

«Nous n’avons pas été contactés», précise Christian Gurtner, directeur de La Résidence, au Locle. «Notre fondation est saine», insiste-t-il. Mais le plus grand EMS du canton n’est pas épargné ce qui est vécu comme une pression de l’Etat. «La suppression de 26 lits sur 166 remettrait en question la viabilité de l’institution.»

Christian Gurtner espère que cette évolution, si elle devait se confirmer, sera compensée par le développement d’autres missions, comme l’accueil temporaire au sein d’un foyer de jour.

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