Ce sont des résistants qui ont failli disparaître, victimes d’une viticulture qui a longtemps eu pour seule obsession de faire du volume. Heureusement, les temps changent: les cépages autochtones, qu’ils soient suisses, italiens, grecs ou autrichiens, connaissent un nouveau souffle depuis un quart de siècle. C’est le cas des spécialités valaisannes comme l’amigne, l’arvine ou le cornalin, qui occupent aujourd’hui 600 hectares en Valais (soit 13% du vignoble), pour seulement 120 hectares en 1991.

C’est aussi le cas du completer grison, de la bondola tessinoise ou du räuschling, spécialité typiquement zurichoise. Issu du croisement du savagnin du Jura et du gouais blanc du nord est de la France, il est né dans le sud de l’Allemagne. Comme le détaille l’ampélographe José Vouillamoz dans son livre «Cépages suisses, histoire et origines», il a progressivement disparu des vignobles allemands et alsaciens pour survivre exclusivement en Suisse, malgré un arrachage à large échelle dès la fin du 19e siècle. Il recouvre aujourd’hui 26 hectares en Suisse alémanique, dont 20 dans le canton de Zurich.

Un vin capricieux

Le principal tort du räuschling? Son caractère capricieux. «Il passe mal la fleur s’il pleut et a tendance à millerander (ndlr : défaut de maturation de la vigne), souligne Cédric Besson, qui en cultive 1,5 hectare à Laufen-Uhwiesen (ZH). Il connaît aussi de grosses différences de rendement, avec une récolte qui peut varier du simple au double. Et puis il faut tenir compte de son acidité élevée lors de la vinification.»

null En 2004, diplômes de Changins en poche, le couple Cédric Besson et Nadine strasser s’établit à Laufen-Uhwiesen (ZH), à deux pas des chutes du Rhin. @Irène Brühlmeier

Coup de coeur

Pour le Vaudois expatrié à Zurich en 2004 pour reprendre le domaine familial de son épouse, Nadine Strasser, également œnologue, le räuschling a constitué un coup de cœur immédiat, malgré les difficultés à le domestiquer: «J’aime son profil et, surtout, on est les seuls au monde à en avoir!» Le domaine propose trois déclinaisons certifiées Demeter qui rencontrent un vif succès: un assemblage avec du chardonnay («Fumé»), un mousseux («Brut Nature») et un blanc élevé sur lies («Räuschling vom Rheinfall») taillé pour la gastronomie.

On dit que les grands vins sont ceux qui sont capables de traverser le temps. Le räuschling fait incontestablement partie de cette catégorie, avec un potentiel de garde qui impressionne.

Le domaine Schwarzenbach, à Meilen, membre de l’association Mémoire des vins suisses, possède une impressionnante réserve de vieux millésimes. En juin 2008, quelques privilégiés avaient pu déguster une bouteille du millésime 1895 devenue mythique grâce à la pugnacité du microbiologiste Jürg Gafner, qui a réveillé des levures âgées de plus d’un siècle (lire ci-dessous).

La diversité génétique interne des cépages qui se sont multipliés naturellement dans leur région d’origine leur donne une élasticité qui favorise leur adaptation au changement
José Vouillamoz, ampélographe

José Vouillamoz, qui a participé à ressusciter le diolle, vieux cépage valaisan, incite autant qu’il le peut les vignerons suisses «à planter des cépages indigènes, sur le modèle du Piémont et de l’Autrich», où ils sont majoritaires. Cédric Besson et Nadine Strasser n’ont pas attendu le conseil pour faire le pas : ils replantent régulièrement leurs propres sélections massales avec l’objectif d’avoir à terme deux hectares de raüschling sur les sept qu’ils encavent.

Le räuschling, un trésor alémanique

Le cépage blanc zurichois fait partie des variétés autochtones helvètes, mieux armées que les plants importés pour répondre aux défis du réchauffement climatique