On dirait un stylo tout vert… Eh bien non. C’est une cigarette électronique jetable. Avec leurs arômes de bonbons et leurs jolies couleurs, les «puff bars» font fureur, en particulier auprès des jeunes.

«Elles sont petites, pratiques à ranger, colorées et ça a bon goût. On peut fumer tout le temps, même juste deux taffes vite fait», décrit une Nyonnaise de 17 ans, sa «puff» à la main.

La jeune femme ne fait rien d’illégal, puisque les cigarettes électroniques ne sont pas interdites aux mineurs dans le canton de Vaud. (voir ci-dessous).

Un grand vide légal
La nouvelle loi sur les produits dérivés du tabac ne devrait pas entrer en vigueur avant début 2024 pour interdire les cigarettes électroniques jetables aux mineurs. Et en attendant? Les cantons romands ont chacun à leur tour interdit les cigarettes électroniques aux mineurs. Tous sauf… Le Jura, qui a lancé le processus, et Vaud.
Le Conseil d’Etat vaudois a été interpellé par la députée vert’libérale Graziella Schaller. «La réponse du Conseil d’Etat se fera d’ici la fin de l’année. Les travaux sont en cours», communique le Département vaudois de la santé et de l’action sociale.
En parallèle, l’Unité de promotion de la santé et de prévention en milieu scolaire a préparé une notice pour recommander aux écoles d’interdire l’usage des cigarettes électroniques dans leur périmètre.

Au centre-ville de Nyon, un groupe d’amies fume avant de retourner en cours. Toutes ont entre 16 et 17 ans. «Ça aide, ça déstresse… Ou en tout cas, ça donne cette impression», confie l’une d’elles. «Et quand tu en as essayé une, tu as envie de tester les autres goûts!»

Le groupe est formel: «Tout le monde en fume, ce n’est pas un truc de rebelle.» Elles ont essayé aussi les cigarettes normales… Mais ça ne les «intéresse pas».

Des enfants de plus en plus jeunes s’essayent aussi aux «puffs». «Dans notre école, ce n’est plus seulement chez les 9-11e que nous constatons leur consommation, mais aussi chez quelques 7-8e. Soit chez les 10-12 ans», s’inquiète Serge Martin, directeur de l’établissement scolaire d’Aubonne.

Un redoutable phénomène de mode

Il y a un peu plus d’un an, ces produits ont déferlé en Suisse. Un phénomène de mode venu des Etats-Unis, porté par les réseaux sociaux. Et redoutable: une grande partie des modèles contient une substance hautement addictive: la nicotine.

Cette molécule est présente dans le tabac. Les «puff bars» contiennent quant à elles des sels de nicotine, plus forts mais moins irritants pour la gorge, dissous dans un liquide. Chauffé par une petite batterie, ce jus devient une vapeur, que l’on inhale.

Après quelques centaines de bouffées, l’appareil n’est plus utilisable. Même jetable, il reste plus économique que les cigarettes classiques. Une «puff» coûte environ 10 francs, et on peut y fumer l’équivalent de deux paquets.

Les effets sur la santé de ces cigarettes électroniques ne sont pas encore clairs. Sans tabac, elles ne dégagent pas le goudron et le monoxyde de carbone produits par sa combustion. Pour le moment, il n’y a pas d’indication qu’elles provoquent des cancers.

«Mais les effets à long terme ne sont pas encore connus vu la nouveauté de ces produits», alerte Luc Lebon, responsable de l’unité de prévention du tabagisme au sein d’Unisanté.

Les cigarettes électroniques jetables se déclinent en différents modèles et différentes couleurs. Photo: Sigfredo Haro

Le danger principal, c’est le risque d’addiction à la nicotine. D’autant plus que toutes les marques ne respectent pas les normes. On peut ainsi trouver des «puff bars» avec un taux de 5% de nicotine, alors que le maximum légal en Suisse est de 2%. Et certains arômes facilitent l’entrée en dépendance.

Les écoles interdisent

Dans les écoles, la consommation est à peine cachée. «Les élèves en parlent librement, c’est ce qui nous a le plus déconcertés», s’étonne Serge Martin.

Le directeur ne décolère pas de voir un si jeune public visé par le marketing de ces objets. «C’est vraiment scandaleux: tout est fait dans ce produit pour attirer les enfants», s’agace-t-il, avant de poursuivre: «On ne sait pas tout ce que contiennent ces produits, et même si le règlement d’application de la Loi sur l’enseignement obligatoire interdit la fumée à l’école, c’est notre rôle d’étendre cette interdiction aux «puffs», par précaution».

A Genolier, le directeur de l’établissement scolaire est du même avis. «Quand nous prenons conscience de ces phénomènes de mode, ils sont généralement déjà installés. Mais le plus important est d’y donner une réponse, en posant des repères», affirme Simon Lagger. Il estime que seule une minorité d’élèves fume ces appareils, même si l’ampleur du phénomène est difficile à mesurer.

En tout cas, s’en procurer ne semble pas compliqué. Certains en font même un trafic. «Ils les achètent en gros. Au lieu de deux francs, ils les revendent à sept francs. C’est moins cher qu’en kiosque, où elles coûtent environ 10 francs», expliquent nos jeunes interlocuteurs.

«Les mineurs essaient de nous en demander»

Dans le canton de Vaud, les kiosques peuvent légalement les vendre aux mineurs. «On peut en acheter facilement, ils ne vérifient pas l’âge», acquiescent les adolescents.

Petite visite dans deux kiosques de la région. L’un a installé les cigarettes électroniques jetables tout en haut de l’étal, avec un symbole «-18» tracé. «Pour nous, c’est hors de question d’en vendre à des mineurs. Mais ils essaient de nous en demander», affirme le gérant.

Dans le deuxième magasin, la responsable, qui a également souhaité rester anonyme, refuse aussi d’en vendre aux mineurs. «Récemment, un jeune d’une douzaine d’années m’en a volé une», soupire-t-elle. Et elle ne compte plus les demandes qu’on lui fait chaque jour.

Les professionnels de la vape ont quant à eux décidé de s’autoréguler et de ne pas vendre leurs produits aux moins de 18 ans.

L’interdiction de vente pas suffisante

L’interdiction fédérale de vente aux mineurs, qui doit arriver en 2024, sera une avancée… Mais ne doit pas être la seule, selon Luc Lebon. «C’est cohérent, mais pas suffisant. Pour être efficace, elle doit être accompagnée de contrôles et d’une interdiction de publicité».

Aux parents désemparés, le spécialiste d’Unisanté suggère d’amorcer la discussion avec le jeune, sans jugement. «Il vaut mieux ne pas insister sur la question de la santé, car les jeunes se sentent invulnérables», conseille Luc Lebon.

Il vaut mieux ne pas insister sur la question de la santé, car les jeunes se sentent invulnérables.

Luc Lebon, responsable de l’unité de prévention du tabagisme au sein d’Unisanté

A la place, il propose de parler en «je», par exemple «je m’inquiète pour toi», et de les sensibiliser à la forte dépendance que ces produits entraînent, à leur prix, à la pollution pour l’environnement, ainsi qu’aux manœuvres marketing dont ils sont l’objet.

Il n’y a à ce jour pas de statistiques sur l’usage des cigarettes électroniques jetables en Suisse. Un sondage est actuellement mené par Unisanté et Promotion santé Valais auprès de 1000 jeunes romands, pour comprendre leurs habitudes de consommation. Il révélera peut-être que, comme pour le tabac, la majorité n’en consomme pas.

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