De mon regard de paysanne, ce cri de colère résonne comme un soulagement. Enfin, le monde agricole sort de la torpeur. Des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent contre un système qui est arrivé à ses limites et ne satisfait plus que l’industrie agro-alimentaire.

La paysannerie est à bout de souffle. On lui demande de résoudre une impossible équation: nourrir à bas coût une population toujours plus nombreuse, satisfaire une bureaucratie hors sol, et faire face aux dangereux requins du libéralisme à tous crins.

Le tout dans un climat économique et social anxiogène, saupoudré de la menace environnementale et climatique, bien réelle, à laquelle nous sommes déjà confronté·es dans nos fermes.

Le constat est accablant: l’évolution structurelle, voulue par nos autorités et trop facilement acceptée par la défense professionnelle, a fortement agrandi nos fermes. Une illusion de liberté entrepreneuriale qui se révèle la pire des geôles.

Les paysannes et paysans sont désormais triplement prisonnier·ère·s: des prêts hypothécaires (parmi les plus élevés au monde), des grands distributeurs, seuls à même d’absorber d’importants volumes de production, et des paiements directs, monstre administratif que l’on s’évertue à nourrir sans se rappeler vraiment pourquoi.

Pour couronner cela, la jeune génération risque de ne pas être en mesure de reprendre le flambeau, tant la charge financière de certains domaines est lourde.

Au milieu des années 90, la Suisse a fait un choix déterminant. Afin de tenter de soutenir l’industrie agro-alimentaire face à la concurrence étrangère, et dans un contexte de libéralisation des marchés, il a été décidé de retirer progressivement le soutien étatique aux prix à la production, et de le remplacer par le système des paiements directs.

Il va falloir faire preuve d’un courage et d’une volonté politiques rares pour extraire notre agriculture du bourbier dans lequel on l’a maintenue.

Ses objectifs étaient louables: soutenir la production locale de nourriture et préserver l’environnement par le biais de prestations écologiques, le tout emballé de façon OMC-compatible.

A l’heure du bilan, le tableau n’est pas brillant: notre environnement se porte-t-il mieux? La question mérite d’être posée à l’Office fédéral de l’agriculture. Et nos paysan·nes? Force est de constater que la Confédération ne respecte pas les objectifs constitutionnels qu’elle s’était fixés.

La population agricole se réduit à peau de chagrin, les fermes disparaissent inexorablement, les terres agricoles sont mal protégées de la gourmandise immobilière. Tandis que certains s’évertuent à faire porter le chapeau aux consommateur·rices, la grande distribution se frotte les mains et voit ses bénéfices s’entasser.

Modifier quelques ordonnances chaque année ne résoudra rien. Il va falloir faire preuve d’un courage et d’une volonté politiques rares pour extraire notre agriculture du bourbier dans lequel on l’a maintenue.

Socle fondamental de la société, la production de nourriture ne doit plus être perçue comme une branche économique quelconque. Au cœur de nos existences, elle touche tout à la fois les questions d’environnement, de climat, de justice sociale, de santé publique et de sécurité nationale. Accordons-lui enfin la place qu’elle mérite.

La paysannerie suisse est à bout de souffle

[OPINION] Paysanne et secrétaire politique à Uniterre, Vanessa Renfer dresse un bilan des politiques mises en place dans le secteur agricole suisse, qui exprime un ras-le-bol généralisé.