Votre publicité ici avec IMPACT_medias

Non, l’horlogerie ne revit pas les années 70

Comment l’horlogerie s’est-elle remise du désastre des années 1970 ? Les réponses de l’historienne Laurence Marti.

24 mars 2017, 13:02
/ Màj. le 24 mars 2017 à 14:48
A Baselworld, la baisse de régime de la branche horlogère est dans tous les esprits, car la crise des années 70 est encore présente dans l’inconscient collectif des horlogers.

Laurence Marti est historienne indépendante. Depuis 20 ans, elle livre études et monographies sur l’histoire industrielle de l’Arc jurassien. Avec «Le renouveau horloger», elle publie un essai alimenté par ses nombreux travaux et livre ainsi une réflexion inédite sur les causes du redressement de l’horlogerie suisse après la crise des années 1970.

Là où le sens commun tend à privilégier l’émergence de grands hommes et d’idées révolutionnaires pour mythifier un redressement qui, somme toute, reste exceptionnel, l’auteure montre, au contraire, que c’est la diversité des destins, des business plans et des choix technologiques qui a permis de voir émerger peu à peu une nouvelle industrie de la montre.

A l’heure ou les horlogers sont nombreux à chercher des pistes pour donner un nouveau souffle à leurs succès, Laurence Marti façonne une vision originale de l’histoire récente de la branche, qui autorise à tirer quelques enseignements.

 

Dans les années 1970, l’horlogerie suisse est mise à genoux par une crise sur laquelle divers travaux se sont penchés. Vous avez planché, vous, sur ce qui a permis à l’industrie de se relever...

La relance de la branche horlogère doit être examinée sous deux aspects principaux. La reconfiguration des structures de production, et l’évolution du produit, autant du point de vue des modes de fabrication que des méthodes de vente. Il y a d’abord une période de complet brassage, pendant laquelle on fait complètement éclater le produit «montre» tel qu’il existait jusque-là.

Les montres deviennent des accessoires de mode, qui s’adaptent à l’air du temps. On introduit la couleur, les matières plastiques, on revoit la forme, y compris, parfois, en proposant des montres qui ne se portent pas au poignet. Durant cette période, certains se mettent aux montres à quartz, d’autres gardent résolument une voie mécanique.

Il ne s’agit pas d’un univers dans lequel tout le monde pense la même chose. Rolex a très peu investi dans le domaine du quartz, persuadé qu’il y a encore de l’avenir dans la montre mécanique. Au contraire, SMH (l’un des ancêtres du groupe Swatch) estime très vite que la mécanique n’a plus aucun avenir, et n’investit plus dans l’horlogerie mécanique pendant au moins dix ans.

Il n’y a donc pas de solution toute faite qui émerge d’un coup.

Non. Ce que j’ai essayé de montrer, c’est que c’est bien la diversité des modèles, l’exploration de nombreuses pistes qui a permis que des solutions émergent.

Ce n’est pas l’arrivée de Swatch ?

La présence d’un grand groupe est importante dans le sens où elle donne une nouvelle impulsion, et que le produit qui en sort permet de redonner confiance à l’horlogerie suisse. Mais la coexistence de plusieurs modèles d’entreprise permet qu’ils s’alimentent l’un l’autre.

Comment, par exemple ?

Au début des années 80, j’avais fait une première recherche, lors de l’apparition des grandes marques du luxe. A l’époque, tout le monde horloger helvétique considère que ces gens «n’y connaissent rien», qu’ils n’ont pas de tradition horlogère.

Vingt ans plus tard, toutes les marques avaient réfléchi à la manière de lancer des boutiques, de se situer dans le monde du luxe. Cette diversité d’approches permet d’imaginer qu’on peut faire des montres de luxe, inventer des moyens pour les produire et les écouler.

Une marque comme Ebel ouvre une boutique à une époque où cela est inimaginable. Tandis que des petites marques se créent pour se lancer à fond dans la mécanique, et sortent des complications, des montres squelettes incroyables qu’on ne pensait plus du tout voir...

Qu’est-ce que cette crise nous apprend sur la situation d’aujourd’hui ?

On ne se trouve pas du tout devant le même cas de figure. Tant que la volonté de distinction et les différences de fortune existent, les objets de luxe seront recherchés. Et le luxe, c’est un marché de niche, donc relativement protégé. On peut se demander si ce sera toujours la montre qui sera l’objet de luxe par excellence, mais nous ne faisons pas face à l’effondrement de toute une production comme cela s’est passé dans les années 1970. La Suisse produisait alors en masse des montres pas forcément d’une qualité exceptionnelle. La référence, c’était la précision. Au moment de l’arrivée de la montre à quartz, qui est en elle-même «précise», cette référence disparaît, il faut en trouver une autre.

Comment jugez-vous la législation sur le «swiss made», à cet égard ?

Je crois que c’est ce qui a permis l’internationalisation de la production, mais en même temps les limites qu’il impose ont permis de maintenir une industrie en Suisse. Le Swiss made, on en a fait un label de référence, ce qui fait qu’on ne peut plus vraiment faire de montre de luxe ailleurs qu’en Suisse. Et ce n’est pas une question technique. Le succès de la montre mécanique a permis de créer un univers autour d’un objet a priori obsolète, en lui donnant une valeur, en l’ancrant
dans une tradition.

Dans l’Arc jurassien, d’autres industries s’installent. Est-ce que la crise horlogère y est pour quelque chose ?

Je crois qu’elle a eu un effet. Cette nébuleuse qu’était l’industrie horlogère a connu des concentrations, mais il y a aussi tout un réseau de fournisseurs qui ont dû se demander quoi faire alors que l’horlogerie, qui assurait 90% des commandes, s’est effondrée.

C’est à ce moment-là que l’industrie du décolletage s’est tournée vers la connectique, l’automobile, le médical, etc. Le réseau de fournisseurs s’est en quelque sorte éloigné de l’horlogerie, qui reste un client important, mais qui n’est plus le seul débouché.

Pour ce qui est des fournisseurs strictement horlogers, comme les fabricants de boîtes et de cadrans, ils ont été pour l’essentiel intégrés à des grands groupes. De ce point de vue, on prive une partie du tissu industriel de sa matière, et c’est un danger.

Pourquoi ?

L’innovation, pour émerger, demande de la rapidité, de la flexibilité. Ça ne veut pas dire que les grands groupes n’innovent pas, ils y mettent des moyens considérables. Mais ce qu’on a vu dans les années 80, c’est que ce sont les réactions rapides de petites entreprises qui ont permis de découvrir les voies du succès. Et ça, avec l’intégration
de plus en plus grande des groupes du luxe, on est peut-être en train de le perdre.

L’un des points qui ressort de mon livre, c’est que dans un premier temps, cet éclatement de l’industrie horlogère, que l’on ne voit pas dans d’autres industries en tout cas en Suisse, a été transformé en atout. Ce qui peut sembler préoccupant, c’est que désormais, cette intégration entraîne une uniformisation qui est peut-être un frein au renouvellement.

Votre publicité ici avec IMPACT_medias