Votre publicité ici avec IMPACT_medias

Découvrez en exclusivité un chapitre du livre de Didier Burkhalter

L'ex-conseiller fédéral Didier Burkhalter sort son livre "Enfance de terre". Une galerie de portraits d'enfants, rencontrés au fil de ses voyages. Découvrez en exclusivité l'un des premiers chapitres.

28 nov. 2017, 11:37
/ Màj. le 28 nov. 2017 à 12:36
Didier Burkhalter a écrit ce premier livre en deux semaines.

Mahamadi et Djénéba habitent dans une petite maison qui respire le courage malgré le poids étouffant du soleil. On la trouve au bout d’une piste sablonneuse et zigzagante, dans la région de Safané, à l’est d’Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso. En ce début d’année, la saison sèche se fait longue et marque de son empreinte les sols assoiffés. Apparemment insensible à la chaleur pourtant omniprésente, encore stimulée par l’harmattan soufflant comme sur des braises depuis le Sahara, un baobab trône à côté de l’abri pour les chèvres. Bien posé sur son tronc massif, narguant tous les temps brûlants qui passent et se consument, il dresse ses multiples bras aux muscles noueux de manière désordonnée vers le ciel, comme s’il voulait accrocher d’hypothétiques nuages de pluie.

Mariam, la petite, n’a pas encore vu la pluie. Elle est née au plus fort de la saison chaude, criant tout aussi fort en découvrant le monde, comme si elle savait qu’elle devrait apprendre, par la suite, à l’observer et à l’affronter sans jérémiades. Accrochée naturellement au bras gauche de sa mère, qui nourrit les poules dans la courette devant la porte, elle se balance au gré des mouvements. Une sorte de jeu utile qui semble lui plaire et la bercer.

Les parents de Mariam n’ont pas encore vingt ans. Ils sont tous deux sortis il y a peu d’une école d’agriculture, dont les portes s’étaient ouvertes, pour eux aussi, grâce à l’un des programmes de coopération internationale qui soutiennent leur pays et leur peuple. Occupés à réaliser leur rêve d’une petite entreprise d’élevage, ils semblent n’avoir peur de rien. L’eau? Il y a un point d’eau un peu plus loin; en fait, c’est un puits, creusé juste à côté de l’école pour tous les enfants du coin qui, pour certains d’entre eux, marchent longuement pour apprendre chaque jour un peu plus. L’idéal serait de réussir à faire venir le précieux liquide par canalisation jusqu’à la petite ferme. Mais pour l’heure, il faut la chercher dans des jerricans. Les revenus? Les ventes au marché régional doivent leur permettre de s’en sortir. En tous cas, ils y croient. L’avenir? La ferme grandira au rythme de la famille.

Le vrai danger vient du nord, là où s’étend la frontière interminable, désertique et intenable avec le Mali. La violence terroriste s’y développe et lance ses ramifications toujours plus loin, au rythme des frustrations d’une jeunesse ne connaissant plus le goût fruité des baies de l’espoir. Mahamadi se sent pleinement burkinabé. Il ressent intuitivement la signification profonde du nom de sa terre : le pays des hommes intègres. Un pays parmi les plus pauvres qui vit pourtant depuis longtemps avec la richesse de la tolérance et même de l’attrait pour les différences. Il suffit de peu pour vivre heureux ici: de la paix, naturellement, et de la pluie, juste assez.

Quelque deux mille kilomètres plus à l’est, le soleil frappe toujours autant. Et le sort encore plus. La paix, elle, est absente. Des dizaines de jeunes filles d’une école secondaire de la région de Chibok dans le nord du Nigeria sont enlevées par l’organisation terroriste islamiste Boko Haram. Kingsley en fait partie. Il a quinze ans de vie et une enfance de soldat. Son amie est sa kalachnikov. Elle sent le sang et le chanvre.

Cette région du lac Tchad souffre presque silencieusement, dans l’une de ces grandes indifférences du reste du monde. Le conflit entre l’armée nigériane et les groupes terroristes n’en finit pas de déferler sur les pauvres populations paysannes, qui ne peuvent que mourir ou partir. Mahamadou a presque le même prénom que le jeune éleveur du Burkina Faso. Il a tenté de vivre de la même manière mais a failli mourir lors de la dernière offensive militaire dans sa région. Le groupe de Boko Haram dont fait partie Kingsley s’est vengé sur son village. Beaucoup ont perdu la vie. Lui y a laissé sa main gauche, tranchée net d’un coup de machette donné par un adolescent plus jeune que lui, au regard perdu et au cerveau embrouillé par la drogue. Peut-être était-ce Kingsley lui-même.

Pris pour mort, Mahamadou a entendu le groupe armé partir comme dans un cauchemar. Il s’est traîné jusqu’aux débris fumants d’une hutte et a cautérisé son avant-bras au moyen d’un tison. Quelques jours plus tard, il a été pris en charge par une équipe du Comité international de la Croix-Rouge. Mireille, jeune déléguée, lui a prodigué des soins. De tout ce temps dans le délire de la violence, il se souvient d’éclats. Il se souvient de son sourire et de ses cheveux blonds, qui semblaient venir du ciel. Qui venaient en fait d’une cité d’abord suisse mais aussi internationale, à la fois symbole et réalité de la paix: Genève.

>> A lire aussi: L'ex-conseiller fédéral neuchâtelois Didier Burkhalter sort un livre de portraits

Votre publicité ici avec IMPACT_medias