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L'homme qui a volé 4 millions aux impôts du canton

Découvrez le premier épisode de notre feuilleton consacré à l'homme qui a escroqué l'Etat de Neuchâtel, son employeur, pendant 15 ans. Enquête exclusive.

21 avr. 2017, 17:06
/ Màj. le 22 avr. 2017 à 06:30
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A la mi-février 2017, après douze mois d’enquête, les autorités neuchâteloises annonçaient qu’un fonctionnaire du Service cantonal des contributions avait détourné quatre millions de francs sur quinze ans.

Ses malversations avaient été découvertes début 2016 après qu’il eut pris une retraite anticipée pour s’établir en Thaïlande. L’homme s’est depuis livré à la police.

La convocation

Ce mercredi 15 février 2017 au soir, c’est l’effervescence au sein du Service des contributions à la Chaux-de-Fonds. Les 120 employés qui y travaillent sont convoqués d’urgence le lendemain matin à 7h30 dans la salle du Grand Conseil au Château de Neuchâtel. A l’ordre du jour, une séance d’information extraordinaire conduite par le conseiller d’Etat Laurent Kurth, chef du Département des finances et de la santé, et par le chef du service Youssef Wahid.

Dessins: Nicolas Sjöstedt

«C’était très surprenant, raconte un employé. Cela fait des années que je travaille dans le service, jamais nous n’avions été convoqués pour une telle séance. Et en plus dans la salle du Grand Conseil!» Au sein du personnel, les supputations vont bon train: pourquoi une telle séance annoncée à la dernière minute?

 Certains se demandent si cette réunion a un lien avec la votation sur l’hôpital dont les résultats sont tombés quatre jours plus tôt, une défaite cinglante pour le projet défendu par Laurent Kurth. «On se demandait s’il allait nous annoncer sa démission, mais ça nous semblait bizarre», se souvient un employé.

D’autres pensent plutôt à une réorganisation complète du service des contributions, comme d’autres services de l’Etat l’ont connu dernièrement. L’inquiétude est palpable.


Séance d'information

Le lendemain matin, la très grande majorité des collaborateurs du service a pris place dans les sièges habituellement réservés aux députés. L’atmosphère est lourde. Laurent Kurth préside la séance et prend immédiatement la parole: «J’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer; elle doit être prise au sérieux mais ne doit pas vous inquiéter», lance-t-il aux collaborateurs qui se regardent interloqués.

Et il leur explique qu’un employé du service a mis en place ces quinze dernières années un système de fraude assez sophistiqué qui lui a permis de soutirer quatre millions de francs en manipulant les écritures relatives aux montants qui sont remboursés aux contribuables ayant versé trop d’impôts.

«Quand j’ai expliqué le mécanisme de la fraude au personnel du service, ça a vraiment étonné tout le monde, se rappelle Laurent Kurth. Et quand j’ai prononcé son nom, c’était vraiment la stupeur. Personne ne voulait croire que ça pouvait être lui!»

L’homme en question, appelons-le Jacques (prénom fictif), travaillait en effet depuis des années, dans différents services liés au département des finances. «Il avait acquis des compétences assez étendues dans ses différentes fonctions en collaborant d’abord au service financier puis au service des contributions, tout en ayant eu des contacts très étroits avec les développeurs du système informatique pour les impôts», précise Laurent Kurth, qui ajoute que Jacques avait participé de près à la mise en place de ce système informatique à la fin des années 90.

On peut donc se demander aujourd’hui s’il correspond encore aux normes de sécurité usuelles: «Effectivement, répond le conseiller d’Etat. Ce système informatique est ancien, comme le sont d’ailleurs plusieurs systèmes de gestion cantonaux qui ont une moyenne d’âge d’une vingtaine d’années. Il y a des mises à jour régulières, mais cela ne suffit pas. Il figure dans la liste des applications à renouveler selon le schéma directeur informatique approuvé par le Grand Conseil. C’est un gros défi.»


Restitutions fiscales

Devant les collaborateurs du service des contributions, Laurent Kurth et Youssef Wahid détaillent le mode opératoire de Jacques. «C’était un personnage clé du service, explique aujourd’hui le conseiller d’Etat. Même si formellement il ne dirigeait pas une grande équipe, il avait un poste de cadre technique.» Comme il avait participé au développement informatique du système, il était notamment chargé de toutes les écritures spéciales, les erreurs, les correctifs ainsi que des bouclements de fin d’année.

«Pour faire des économies, le service avait centralisé les compétences pointues sur quelques personnes et il en faisait partie», précise Laurent Kurth. Jacques s’occupait des restitutions fiscales aux contribuables. Soit plusieurs milliers d’écritures comptables par mois. L’employé indélicat en détournait quelques-unes par mois à son profit, à chaque fois de quelques centaines ou quelques milliers de francs.

Globalement, la perte pour les comptes de l’Etat de Neuchâtel a atteint 4 millions de francs. «Mais aucun contribuable n’a été directement lésé, tient à indiquer le conseiller d’Etat. Jacques dupliquait un paiement réel pour se faire verser le même montant sur son propre compte.»

Le paiement passe par le Service financier de l’Etat qui ne peut pas contrôler chaque mois chacun des milliers d’ordres qui lui sont transmis. L’employé le savait pertinemment. Et il savait aussi comment intervenir dans les différents systèmes pour masquer comptablement ses forfaits.


Incontournable

Au lendemain de cette séance d’information dans la salle du Grand Conseil, les langues se délient au sein du Service des contributions autour de la personnalité de Jacques. «C’est comme s’il avait les clés du château, raconte un employé. Dès que l’on avait une opération spéciale à faire dans le système, nous devions faire appel à lui, c’était le seul qui pouvait intervenir. Il était devenu incontournable. Ce qui lui donnait un pouvoir considérable.»

Mais de là à imaginer qu’il allait en profiter pour son profit personnel! «Il ne montrait aucun signe extérieur de richesse, remarque Laurent Kurth. Bien au contraire. Il avait même demandé des arrangements pour le paiement de ses tranches d’impôt. Il donnait complètement le change.»

Au sein du service des contributions, il n’était pas très apprécié: «Nous avions besoin de lui et il le savait, Mais il n’était pas du tout agréable, c’était quelqu’un de distant, voire même de méprisant avec ses collègues. Et pourtant, il ne payait pas de mine et n’avait aucune allure.»

A la fin de l’année 2015, à l’approche de ses soixante ans, il annonce qu’il souhaite prendre une retraite anticipée dans les semaines qui suivent pour partir s’installer au pays de son épouse, la Thaïlande. Une nouvelle qui surprend au sein du service, notamment en raison de son caractère précipité.  «Il a arrêté formellement de travailler fin 2015, note Laurent Kurth. Mais le service lui a demandé de procéder au bouclement des comptes dans les premières semaines de 2016. Il pouvait le faire à distance, les accès informatiques lui ayant été laissés dans ce but.»

Quelques jours plus tard, un peu par hasard, le pot aux roses est découvert.

A lire, le deuxième épisode "Jacques se précipite à Bangkok car les contrôles se multiplient" et le troisième épisode "La fin d’une longue traque est souvent ressentie comme un soulagement".

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